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qu’ils le remarquèrent dans les Capouans, ils dirent supercilium campanicum, pour fastueux, superbe.

C’est de cette manière que Numa et Ancus furent Sabins ; les Sabins étant remarquables par leur piété, les Romains dirent Sabin, faute de pouvoir exprimer religieux. Servius Tullius fut Grec dans le langage des Romains, parce qu’ils ne savaient pas dire habile et rusé.

Peut-être doit-on comprendre de cette manière les Arcadiens d’Évandre et les Phrygiens d’Énée. Comment des bergers, qui ne savaient ce que c’est que la mer, seraient-ils sortis de l’Arcadie, contrée toute méditerranée de la Grèce, pour tenter une si longue navigation et pénétrer jusqu’au milieu du Latium ? Cependant toute tradition vulgaire doit avoir originairement quelque cause publique, quelque fondement de vérité… Ce sont les Grecs qui, chantant par tout le monde leur guerre de Troie et les aventures de leurs héros, ont fait d’Énée le fondateur de la nation romaine, tandis que, selon Bochart, il ne mit jamais le pied en Italie, que Strabon assure qu’il ne sortit jamais de Troie, et qu’Homère, dont l’autorité a plus de poids ici, raconte qu’il y mourut et qu’il laissa le trône à sa postérité. Cette fable, inventée par la vanité des Grecs et adoptée par celle des Romains, ne put naître qu’au temps de la guerre de Pyrrhus, époque à laquelle les Romains commencèrent à accueillir ce qui venait de la Grèce.

Il est plus naturel de croire qu’il exista sur le rivage du Latium une cité grecque qui, vaincue par les Romains, fut détruite en vertu du droit héroïque des nations barbares, que les vaincus furent reçus à Rome dans la classe des plébéiens, et que, dans le langage poétique, on appela dans la suite Arcadiens ceux d’entre les vaincus qui avaient d’abord erré dans les forêts, Phrygiens ceux qui avaient erré sur mer.


2. La géographie, comprenant la nomenclature et la chorographie ou description des lieux, principalement des cités, il nous reste à la considérer sous ce double aspect pour achever ce que nous avions à dire de la sagesse poétique.

Nous avions remarqué plus haut que les cités héroïques furent fondées par la Providence dans des lieux d’une forte position, désignés par les Latins, dans la langue sacrée de leur âge divin, par le nom. d’Ara, ou bien d’Arces (de là, au moyen âge, l’italien rocche, et ensuite castella pour seigneuries). Ce nom d’Ara dut s’étendre à tout le pays dépendant de chaque cité héroïque, lequel s’appelait aussi Ager, lorsqu’on le considérait sous le rapport des limites communes avec les cités étrangères, et territorium sous le rapport de la juridiction de la cité sur les citoyens. Il y a sur ce sujet un passage remarquable de Tacite ; c’est celui où il décrit l’Ara maxima d’Hercule à Rome : Igitur a foro boario ubi æneum bovis simulacrum adspicimus, quia id genus animalium aratro subditur, sulcus designandi oppidi captus, ut magnam Herculis aram complecteretur, ara Herculis erat. Joignez-y le passage curieux où Salluste parle de la fameuse Ara des frères Philènes, qui servait de limites à l’empire carthaginois et à la Cyrénaïque.