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des dieux. Les républiques anciennes, dit Aristote dans sa Politique, n’avaient pas de lois judiciaires pour punir les crimes et réprimer la violence. Le duel offrait seul un moyen d’empêcher que les guerres individuelles ne s’éternisassent. Les hommes, ne pouvant distinguer la cause réellement juste, croyaient juste celle que favorisaient les dieux. Le droit héroïque fut celui de la force.

La violence des héros ne connaissait qu’un seul frein : le respect de la parole. Une fois prononcée, la parole était pour eux sainte comme la religion, immuable comme le passé (fas, fatum, de fari). Aux actes religieux qui composaient seuls toute la justice de l’âge divin, et qu’on pourrait appeler formules d’actions, succédèrent des formules parlées. Les secondes héritèrent du respect qu’on avait eu pour les premières, et la superstition de ces formules fut inflexible, impitoyable : uti lingua nuncupassit, ita jus esto (Douze Tables). Agamemnon a prononcé qu’il immolerait sa fille ; il faut qu’il l’immole. Ne crions pas comme Lucrèce, Tantum relligio potuit suadere malorum !… Il fallait cette horrible fidélité à la parole dans ces temps de violence ; la faiblesse soumise à la force avait à craindre de moins ses caprices. — L’équité de cet âge n’est donc pas l’équité naturelle, mais l’équité civile ; elle est dans la jurisprudence ce que la raison d’état est en politique : un principe d’utilité, de conservation pour la société.

La sagesse consiste alors dans un usage habile des paroles, dans l’application précise, dans l’appropriation du langage à un but d’intérêt. C’est là la sagesse d’Ulysse ; c’est celle des anciens jurisconsultes romains