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Enfin, Dante nous offre le modèle d’un poète sublime. Mais c’est le caractère naturel de la poésie sublime, de ne pouvoir être apprise par aucun art. Homère n’a pas eu de Longin avant lui, pour lui donner les règles du sublime. Pour puiser aux sources que nous indique Longin, il faut avoir reçu un don particulier du Ciel. De ces sources, voici les plus sacrées, les plus profondes : c’est cette hauteur d’âme, qui, n’aimant que la gloire et l’immortalité, foule aux pieds tout ce qu’admirent la cupidité, l’ambition, la mollesse du vulgaire ; c’est l’exercice des vertus publiques, de la magnanimité, de la justice ; ainsi, sans aucun art, et par le seul effet de l’éducation instituée par Lycurgue, les Spartiates, auxquels la loi défendait d’apprendre à lire, laissaient échapper journellement des mots si nobles, si sublimes, que les plus grands poètes s’honoreraient d’en trouver quelques-uns de semblables dans leurs épopées ou leurs tragédies. Mais ce qui explique particulièrement le caractère sublime de Dante, c’est que ce grand génie naquit à l’époque où la barbarie italienne subsistait encore dans son énergie. L’esprit humain est comme la terre qui, lorsqu’elle est restée plusieurs siècles sans culture, étonne par sa fécondité. Voilà pourquoi vers la fin des temps barbares, on vit naître à la fois un Dante dans le genre sublime, un Pétrarque dans le délicat, un Boccace dans le gracieux.


Nous rapprochons de ce jugement un passage d’une lettre où Vico traite le même sujet : — Vous aimez Dante, monsieur, et cela par l’instinct de votre sens