On lui reproche encore son apparente nonchalance, qu’on appela trop vite sa paresse, et que compense un don miraculeux d’assimilation : avant d’aborder une discussion parlementaire, il feuillette un dossier qu’il ignore ; et, en séance, il en dégage la portée, l’esprit, l’essentiel, avec une clarté qui éblouit celui-là même qui l’a minutieusement préparé.
Je ne lui sais pas mauvais gré de sa lente métamorphose extérieure, de son effort d’affinement. Un soir déjà lointain qu’il voyageait en sleeping avec Clemenceau, il dut atteindre en déshabillé la couchette supérieure. Et Clemenceau, le voyant ainsi s’enlever devant lui, jugea : « Il est foutu : il a des chaussettes de soie verte ». Eh bien, Briand est resté simple dans sa vie, dans ses goûts. Il aime passionnément le pouvoir en soi, pour ses facilités, pour son prestige, pour ses attraits un peu puérils et si grisants. Mais ce n’est pas un homme d’argent. Et il ne sert pas les hommes d’argent.
Mais la raison profonde de ma sympathie, n’est-ce pas ma conviction que son scepticisme goguenard, ses habiletés ambitieuses et ses concessions de tribune, cachent une sensibilité lucide qui déplore le massacre, en guette la fin, ose en concevoir les lendemains apaisés ?