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20 décembre 1916.

Allons, la paix sera décidément repoussée du pied. Il faut que je gravisse mon calvaire. René part demain.

J’ai compté les mères qui ont perdu leur fils, autour de moi. Que de jeunes morts, de tous grades, de toutes armes. Comme elles sont déjà nombreuses, ces martyres… La plupart de celles que je connais se sont ensevelies dans leur deuil. Elles sont descendues vivantes dans la tombe. On ne les entend plus. Il faut pourtant avoir le courage de le dire : elles sont magnanimes, elles ne crient pas vengeance. Oh ! Je me rappellerai toujours cette femme d’Andernos, si simple, qui avait perdu son fils, sergent, en novembre 1914. Elle mettait ses portraits partout. Elle voulait absolument sa dépouille. Elle craignait de devenir folle. On était obligée de la piquer d’un sérum. Elle ne dormait pas. Et — bien qu’elle ignorât tout de mes sentiments, je le jure — elle me disait qu’elle n’en voulait pas aux soldats allemands, qu’elle savait bien que ce n’était pas de leur faute, qu’elle les soignerait dans les hôpitaux, s’il le fallait.