Page:Michel Corday - Les Hauts Fourneaux, 1922.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LES « HAUTS FOURNEAUX »

ces visages assassins dont on n’est poursuivi que dans les cauchemars. Les bouches distendues vous hurlent le dogme : « La guerre est belle, la guerre est sacrée, puisqu’elle nous a été imposée ». Et rejetée à mon mutisme, affreusement seule, transie, je me demandais : « Est-ce donc moi qui suis le monstre ? »

Et puis, ici, dans ma retraite, j’ai réfléchi que je n’avais vu qu’une face des êtres. Qui donc ne se dédouble pas ? Tel, qui s’héroïse en paroles, ne tremble-t-il pas en même temps pour un être cher ? Ces propos cornéliens ne cachent-ils pas souvent l’angoisse d’un pauvre cœur maternel, la détresse d’une âme encore humaine ?

Mais cette angoisse, cette détresse, ne peuvent pas s’exprimer. Pourquoi ? Ah ! C’est que la guerre a créé une mentalité de vengeance, de férocité, de haine, soigneusement entretenue par les discours et les journaux. Et cette orthodoxie farouche ne tolère pas de dissidence, ni même de tiédeur. Hors d’elle, tout est défaillance ou félonie. Ne pas la servir, c’est la trahir.

Ainsi, le respect humain, l’orgueil, la crainte de paraître suspect, autant de bâillons sur les propos hérétiques. Chacun se sent justiciable de son voisin. Que de gens doivent se duper deux à deux, dans la crainte de ne pas sembler assez