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LES « HAUTS FOURNEAUX »

devant moi : « Ah ! s’il ne me manquait pas onze phalanges »… Je regarde ses mains : elles sont intactes. C’est aux pieds. On en voit qui ne désespèrent pas encore de s’employer, de se donner. Parbleu ! Certains sont sincères. Ainsi je rencontre un Pierre Loti, dressé sur de hauts talons, pincé dans un uniforme, et ravagé d’impatience parce que la Marine et la Guerre tardent à agréer ses services d’officier. Il parle de s’enrôler comme brancardier. Mais d’autres, d’esprit subtil, voltigent de ministère en ministère et, le masque soucieux et tragique, s’offrent à des missions plus ingénieuses que redoutables.

Ah ! C’est qu’aussi les femmes sont promptes au soupçon. Pour peu qu’un homme tienne debout, qu’il ne soit pas déliquescent de vieillesse, elles s’écrient : « Qu’est-ce qu’il fait ici, celui-ci ? Pourquoi n’est-il pas au feu » ? Elles ne croient même plus à la maladie. Pour leur prouver qu’on est atteint d’un mal grave, il faut en mourir. À ce moment-là, elles s’inclinent, de mauvaise grâce : « Tiens ? C’était donc vrai ? »

Elles veulent qu’on pleure, non pas sur ceux qui partent, mais sur ceux qui sont obligés de rester. Elles jugent indécent le spectacle d’une mère inquiète qui laisse deviner ses alarmes. À les entendre parler des blessés qu’elles visitent