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me poursuit. J’essaye de me consoler. S’ils l’ont pris, malgré ses certificats, c’est que la maladie n’a pas laissé de trace en lui. Et puis, il doit passer quelques mois à son dépôt, faire un stage à Fontainebleau. Cela me mènera bien jusqu’à la fin de l’année. D’ici là… Enfin, ai-je le droit de me trouver malheureuse, à côté de Mme  Mitry, dont le fils André est au front depuis un mois, dans l’infanterie ? Je la vois souvent. Elle ne me parle que de lui.

— À sa dernière permission, dit-elle, il était encore à l’arrière. Mais il savait qu’il partirait bientôt. Il se résignait. Il disait : « puisqu’il faut y aller ». Il me racontait qu’on les entraînait à l’assaut à la baïonnette, avec des cris, de la musique, le clairon qui sonnait la charge. Alors, ils étaient pris d’une espèce de rage, du besoin de tuer. Ils devenaient méchants. On aurait pu les jeter les uns sur les autres.

Maintenant, elle vit dans l’attente des lettres. Dès qu’il reste quelque temps sans écrire, elle craint tout. Il est à Verdun. La lutte dure toujours. Et par un phénomène qu’on ne s’explique pas, ici, en pleine Bourgogne, à deux cents kilomètres, on entend le canon de Verdun. Pendant des heures, c’est un grondement trépidant, continu, qui vous résonne dans la poi-