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18 mars 1916.

Paron vient généralement me voir dans la journée, car il évite Pierre. Aujourd’hui, il s’est rencontré autour du thé avec le sénateur Frapillon, qui jouit de la double réputation de haut patriote et de bas noceur. Je crois qu’il est avocat-conseil des entreprises de Foucard et de mon mari et qu’il s’intéresse étroitement à leur prospérité. Stratège en chambre comme la plupart de ses contemporains, fort ému de l’assaut de Verdun, il ordonnait des contre-attaques, lançait ici 50.000 hommes, sacrifiait là 25.000 hommes, réclamait ailleurs 100.000 hommes. Bref, il jonglait si délibérément avec les « hommes », que Paron, profitant d’un instant où le guerrier reprenait haleine, coula d’un ton pensif :

— Nous parlons des hommes comme nous parlons des choses. Nous disposons de la vie des hommes sans nous rendre bien compte du prix qu’ils y attachent. J’ai trouvé un moyen très simple de prendre exactement conscience des sacrifices que nous exigeons. Il suffit de