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LES « HAUTS FOURNEAUX »

l’an dernier, que j’ai senti le plus vivement l’appréhension lugubre de la guerre. Bien que les républicains l’eussent évincé dans une réunion préparatoire, Raymond Poincaré se présentait. À l’un de ses amis qui lui remontrait : « Mais vous allez être le candidat de la réaction… » il avait répliqué : « Je serai l’élu de la France. » Mon mari, qui souhaitait bruyamment le succès de Poincaré, voulut assister à l’élection. Malgré le joli soleil d’hiver, le classique déjeuner aux Réservoirs me parut lamentable. Ce public de répétitions générales, qui se montre d’habitude aux lumières, dévoilait au plein jour de pauvres figures de cire, des fonds de teint jaunes, verts, violets, des traits éboulés, des peaux craquelées de rides imprévues. Ils avaient beau se défendre, grimacer tous le même sourire fixé de ballerine en scène, ils faisaient peine à voir. Loin de les railler, je pensais : « Moi aussi, je fais comme eux : moi aussi je vieillis. » Et j’avais pour eux la même pitié que pour moi-même. J’aurais voulu les consoler, trouver, à chaque poignée de main, de bonnes paroles. Mais il faut parader. Et j’arborais, moi aussi, le sourire crispé.

Pierre avait invité à notre table toute la bande Foucard. Ils me font peur, ces gens-là. Fou-