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il y a huit jours. Le reste n’existait plus pour moi. Je n’ai pas touché ma plume, de toute cette semaine-là. Je n’essaierai pas de conter mon bonheur ― trop court, hélas ! D’abord, je ne pourrais pas. Je ne saurais pas. Les mots me manqueraient. Et puis, pourquoi dire ma joie, puisque je ne dis pas ma peine ? Chaque jour, depuis quatre mois, ai-je avoué ma tristesse, mes rages impuissantes, ces alertes, ces faux pressentiments qui m’arrêtent le cœur quand une dépêche arrive, quand le téléphone tinte, quand une porte s’ouvre ? Si je parlais de lui, chaque fois que je pense à lui, ce journal ne contiendrait que son nom.

Je n’ai même pas à rapporter ses impressions. De vive voix, comme dans ses lettres, il s’interdit toute allusion à la guerre. Dès que j’ai voulu l’interroger sur sa vie, sur la paix possible, il m’a interrompue : « Oh ! tu sais, ma petite maman, là-bas, dans notre popote, on met à l’amende celui qui parle de la guerre ». Peut-être aussi voulait-il m’épargner. Car il sait que nous différons tellement d’opinion…

Mais, lui-même, pense-t-il toujours comme à l’époque où il s’est engagé ? Il a bien changé, en quatre mois. Je ne peux pas dire qu’il ait vieilli. Le mot serait ridicule, appliqué à ses dix-neuf