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sion d’y participer, héroïquement. Et ils n’en sont pas peu fiers.

Si glorieux qu’ils soient de partager l’épreuve, ils s’efforcent d’en atténuer les rigueurs. Dès qu’une denrée menace de disparaître, ils en accumulent discrètement des stocks énormes. Congédiée, la femme de chambre de Madeleine Delaplane a jeté, par vengeance, cent kilos de sucre dans la baignoire pleine. Elle savait bien que sa patronne n’oserait pas se plaindre, avouer au commissaire que la nouvelle carte de sucre n’était pour elle qu’un chiffon de papier.

En fait, ils échappent aux restrictions, même les plus récentes. Il suffit d’y mettre le prix. Peu leur importe que le menu des restaurants soit limité à deux plats, qu’il y ait des jours sans pâtisserie, que le pain soit vendu rassis, douze heures après sa cuisson. Ces mesures ne sont pas pour eux. Ils les tournent sans effort. Leur vie n’a pas changé.

Et quel égoïsme frivole et féroce, dans leur ignorance des vraies privations ! N’ai-je pas entendu, au restaurant, à une table voisine, une femme s’écrier :

— Oh ! moi, tant que j’aurai du lait pour ma chatte, la guerre peut durer.