Page:Michel Corday - La Houille Rouge, 1923.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

zéro. J’imagine sans cesse l’effroyable misère des tranchées, les indicibles souffrances des soldats, sous ce ciel polaire. Dans les journaux, pas une allusion, pas une seule, à leur long martyre. Les peuples doivent l’ignorer, afin qu’il dure.

Cette rigueur du froid rend plus sensible la morne stupidité de la guerre. À ce fléau naturel, irrésistible, ajouter des fléaux artificiels, qu’on pourrait instantanément supprimer…

Et le charbon manque. La crise dure depuis une quinzaine. Des usines de guerre ont dû fermer. Des ouvrières, ainsi jetées à la rue, ont manifesté devant les Travaux Publics. Leur cortège parcourut la ville jusqu’à la Place de l’Opéra. Mais la plupart des femmes se résignent. Par centaines, elles stationnent sur le trottoir, devant les centres de distribution. Et souvent on les renvoie les mains vides, après des heures…

Pénible spectacle, celui de ces foules transies et patientes. Je voyais hier une de ces « queues », qui s’alignent, toutes noires, contre les murs. Deux cents femmes, parquées, attendaient de recevoir un sac de charbon, grand comme un oreiller d’enfant. La plupart des visages étaient blêmes, presque verts. Quelques propos puérils et timides. Nulle révolte. Vingt-cinq sergents