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répudiaient la guerre en soi, qui en appelaient la fin, sont repris par le jeu féroce. Il y a dans tout homme un stratège qui sommeille.

On parle à mi-voix, comme dans une chambre de malade. On s’aborde d’un air anxieux : « Savez-vous quelque chose ? » On est contradictoire : « Ça va mieux. Ça va plus mal ». Les plus belliqueux sont les plus affolés. Et c’est logique. Car pour eux l’événement militaire compte seul, alors que tant d’autres forces jouent. Beaucoup d’entre eux quittent Paris. Ce mouvement est si marqué qu’un journal d’avant-garde a publié cette caricature, échappée à la censure. Deux hommes, dans une rue déserte. Légende : « Nous ne sommes plus qu’entre défaitistes. »

Tous soulagent leur angoisse en accablant les Anglais, leurs négligences, leurs fléchissements. On oppose le Français qui garde son « allant » malgré les privations, à l’Anglais qui exige ses trois repas pour donner un effort. On répète l’apostrophe cruelle, et peut-être apocryphe, du commandant en chef au Maréchal Douglas Haig : « Eh bien, monsieur le Maréchal, allez-vous reculer jusqu’à la mer ? Il faudrait pourtant s’arrêter ». Les mâchoires grincent, les yeux luisent de méchanceté. Ils n’avaient donc pas encore épuisé toute leur haine ?