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tombé sous les balles des assassins du peuple en poussant ce cri sublime : VIVE L’HUMANITÉ ! « Au temps dont je te parle, Millière était un jeune avocat. Il habitait Clermont-Ferrant et y rédigeait une vaillante petite feuille socialiste qui charmait Léon Paul par toutes les espérances qu’elle lui apportait d’un avenir meilleur pour la France et d’une grande fédération des peuples pour l’Europe. C’est que, vois-tu, quand la France devient libre toutes les nations opprimées reprennent courage. En apprenant la proclamation de notre république, l’Italie, la Hongrie, la Pologne avaient secoué leurs chaînes, et les rois avaient tremblé sur leurs trônes. Les poètes annonçaient déjà la fraternité universelle. « Léon Paul était dans l’admiration de toutes ces choses et il les trouvait si naturelles, si justes, qu’il ne doutait pas de leur réalisation immédiate. La terre allait devenir un paradis dont l’homme serait le dieu. A vingt ans, on croit si facilement aux choses qu’on désire ! « Au grand scandale de son curé, Léon Paul se déclara socialiste, ce qui lui fit perdre la leçon qu’il donnait au fils de M. le maire. Mais n’importe, il ne la regretta pas et même cela lui donna une certaine audace. Après bien des hésitations, il avait osé envoy er plusieurs lettres à l’Éclaireur et ces lettres avaient été publiées, ce qui, naturellement, l’avait couvert de gloire aux yeux des habitants de son village. ‹ Çes braves gens étaient fiers de voir le nom de leur jeune instituteur, imprimé dans les papiers publics, qu’il leur lisait, en les expliquant, le dimanche sous les tilleuls et même, quelquefois, dans la grande salle de l’auberge. En même temps, toutes ces choses l’avaient signalé à la haine des ennemis de la Révolution. Cela va sans dire. << Léon Paul était sur le point de se marier avec la fille de l’un de ses collègues le maître d’école d’un village voisin. « Elle était si jolie, la fiancée de Léon Paul, qu’à cinq lieues à la ronde on la connaissait sous le nom de la belle Isabeau ; ce qui l’ennuyait bien, car c’était une fille modeste craignant beaucoup qu’on parlât d’elle. « Non, non, ça ne lui faisait pas plaisir du tout, lorsqu’elle allait à Issoire et que les beaux messieurs de la petite ville s’arrêtaient pour la regarder en se demandant « Ne serait-ce pas là la belle Izabeau des Nonnettes ? >> « Elle était des Nonnettes, un village juché entre le ciel et l’eau, d’où l’on découvre un monde de verdure, et des tours en ruines, et des montagnes toujours blanches de neige, et des forêts de sapins toujours verts. Rien qu’en y pensant, il me semble que je respire l’odeur des aubépines et des violettes, et que j’entends siffler les merles sur les branches fleuries des abricotiers « < Léon Paul allait voir sa maîtresse chaque dimanche et, tous deux courant å travers les prés, sous les arbres ou le long des vignes, au-dessus de l’Allier, se faisaient de belles promesses de s’aimer jusqu’à la mort. C’était le printemps de leur vie. Avec eux, les projets allaient bon train : « Là comme on aurait soin de la grand’mère ! comme on lui épargnerait de la peine ; comme on élèverait bien la petite sœur ! Comme chacun se pro-