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LA MISÈRE

887 Sans compter qu’on n’a plus surtout d’humiliation des gens qui vous toisent, des pieds à la tête, vos pauvres loques, quand on demande de l’ouvrage, et qui vous disent : Il n’y a pas d’occupation ici pour vous, nous n’employons que des gens convenables. Et d’ailleurs, on vous arrête comme vagabonds parce qu’on n’a rien trouvé à faire, et on vous dit en vous fourrant au dépôt : Vous êtes jeune, pourquoi ne travaillez-vous pas ? Pourtant, il fait bien beau dehors, on se promenerait de bon.cœur le dimanche dans les champs. C’est mourir trop jeune. Godiche, puisqu’il faut toujours en venir là, ça fait qu’on en est débarrassé, ça ne se recommence pas. Ils riaient tous deux d’un bon rire jeune et frais. Lesorne commençait à sentir la forte odeur du charbon ; mais il n’avait pas, lui, bouché ses fentes, et de plus, il ouvrit la lucarne. Si on s’apercevait de ce qui se passe là, pensait-il, cela ferait venir des indiscrets. Il laissait tranquillement mourir ses voisins, attendant avec sang-froid que cela fût fini. Qu’est-ce qu’on fait donc cuire par là ? s’écrie un des habitants de la case de droite, ça plombe (sent) terriblement. Un troisième individu entrant dans la chambre, les empêcha de s’occuper davantage de l’odeur. Il entra comme chez lui, c’était un camarade. Eh les autres, vous allez me faire un peu de place pour la nuit. Oui, d’où viens-tu, que tu souffles comme une baleine ? De la chasse, donc. — Quelle chasse ? -Eh bien ! la chasse à l’homme. Quel autre gibier trouverait-on ici ! Le Brodard est pris ! Lesorne tressaillit. Ainsi, il nous aura passé devant le nez. Comme vous le dites ! Où l’a-t-on pris ? Ah ! c’est là le drôle de l’affaire ! on l’a pincé à la gare de Lyon. — Vous êtes Brodard ? qu’on lui a dit en lui mettant la main sur l’épaule. Eh bien oui, je suis Brodard et j’arrive pour le dire. Farceur, qu’on lui répond, vous vous sauviez au contraire Non qu’il fait. D’où que vous venez ? qu’on lui dit. — Ça, qu’il répond, c’est mon secret, peut-être bien que je serai obligé de le dire ; mais en attendant je le garde.

On s’est informé aux gares, personne n’avait fait attention à lui ; c’était sans doute un voyageur de troisième. “