723 La comtesse pouvait avoir de vingt à quarante ans. Elle possédait à un si haut degré l’art d’être jeune, que longtemps encore on pouvait ignorer son âge. Blanche et rose comme un lys, ses cheveux arrangés et augmentés avec un art merveilleux, on l’appelait mon enfant, mademoiselle ou madame, suivant la distance à laquelle on se trouvait de ce chef-d’œuvre. Me Rosa, la camériste, était un autre chef-d’œuvre ; une servante de Molière en plein xixe siècle, curieuse, effrontée, raisonneuse, aussi pleine de bon sens que la maîtresse paraissait étrange. Cette dame recevait fort peu de monde : quelques vieilles rentières qui l’appelaient madame la comtesse à se fendre la bouche, et lui faisaient des révérences idem, et un grand abbé sorti depuis peu du séminaire, à qui elle avait promis sa haute protection. La comtesse avait quelque chose de la gazelle ; quelques-uns disaient moins poétiquement : de la chèvre. L’abbé avait quelque chose du reptile ; il était convenu pour lui qu’une femme titrée est respectable, et il était convenu pour elle qu’il fallait s’agenouiller devant l’abbé. De là, échange de politesses du plus haut goût, auxquelles se mêlaient parfois les réflexions moins congratulantes de Rosa. Le jour où nous pénétrons dans l’intérieur du cottage, la cuisinière, personnage muet, désirant abandonner le service pour épouser un trompette quelconque, les bureaux de placement furent prévenus ; il vint une nuée de prétendantes. Jusque-là Rosa en avait éconduit plusieurs qui lui semblaient trop naïves, et plusieurs autres qui ne le paraissaient pas assez. Elle en présenta enfin une à madame ; celle-là lui paraissait digne d’être sa compagne. Gracieusement et simplement vêtue, l’air un peu triste, Mme Amélie avait plu à Mile Rosa. Lorsque la comtesse et la postulante furent en présence, il y eut étonnement de part et d’autre, mais chacune trouva convenable de garder sa pensée. • La comtesse aimait à poser ; elle s’allongea dans sa chaise longue, prit un air languissant et s’adressant à la nouvelle venue tout en mettant habilement son visage dans l’ombre : Comment vous nommez-vous ? dit-elle La comtesse n’en dit pas davantage. Olympe ! s’écria la nouvelle venue. « Ah ! faut pas me la faire à la comtesse, hein ! ma belle, c’est moi Amélie et c’est toi Olympe ; il n’y a rien à y faire ! Si tu savais, ce monstre de Nicolas ! il m’en a fait des traits ! mais il s’est sauvé ; il avait commis tous les crimes du monde, ma belle ! » Pendant ce flot de paroles, la comtesse, suffoquée, agitait ses grands bras. Rosa était en train de se retirer discrètement. Seulement, au lieu de passer d’abord par la porte, elle essayait toutes les ouvertures, fenêtres ou armoires, comme si elle eût perdu la tête. Elle sortit enfin, mais pour rester derrière la porte.
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LA MISÈRE