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LA MISÈRE

661 LXXVIII LES FOURS A PLATRE Par les courtes nuits d’été comme par les longues nuits d’hiver, les fours à plâtre sont le refuge d’une quantité de vagabonds, offensifs et inoffensifs. Là, quand le temps est sec, la chaleur des fours fait éprouver un peu de bienètre à ces malheureux ; les nuits de pluie ou de neige y sont pénibles. Il y a aussi les galeries couvertes. Presque tous les vagabonds ont des couvertures, si on peut appeler ainsi les loques dans lesquelles ils sont roulés. S’il arrive que quelqu’un soit asphyxié par les gaz méphitiques du gypse, comme c’est une chose toute naturelle et qui peut arriver à chacun, on le porte à la morgue et on n’en parle plus. Il y a chaque soir un partage, entre les gouapeurs qui ont fait quelques boîtes de conserves aux étalages et ceux qui n’ont rien fait. Quand des vagabonds, non voleurs, découvrent ces retraites et vont y chercher un refuge momentané, personne ne leur demande compte de leur non activité. Jamais non plus les propriétaires de tours n’ont constaté un seul dégât commis dans la nuit par les vagabonds. Le lendemain de l’assassinat de Trompe-l’œil il y avait, dans les fours à plâtre de Montmartre, outre une dizaine d’habitués, quelques-uns qui habituellement couchaient en garni mais qui y auraient eu plus peur après ce coup-là que dans la carrière ; ce n’était pas eux, c’est vrai, mais quand on est sans papiers, sans travail, sans pain, serait-il étonnant d’être accusés d’un crime qu’on n’a pas commis ? Le temps était si mauvais qu’on ne pouvait guère attendre la visite de la police dans les fours. Il y avait de tout ce soir-là, loups affamés, lièvres timides, tout ce que chassent devant elles la misère et la répression — gens mis à la porte par le proprié’taire, vagabonds craintifs, et vagabonds militants. On avait terminé le repas du soir et on causait. Tiens ! dit un colosse en tirant quelque chose de dessous ses jambes et l’élevant en l’air, qu’est-ce que c’est que ça. Un môme ! — D’où sors-tu, mioche ? Je m’ai endormi parce j’étais fatigué, dit l’enfant, j’ai beaucoup trime .(marché). C’était un petit de huit ans tout grêle et tout vieux. -Fatigué, dit le colosse, quoi donc que t’avais à trimer, t’es trop petit pour désoler un saint ou couper le bouchon (jeter quelqu’un à l’eau ou couper la bourse), tu ne serais pas difficile à engrailler (attraper).