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LA MISÈRE

543 payer notre loyer ; nous ne voulions pas être arrêtés ; nous avons cherché notre trou et nous avons été servis à souhait. » Les jeunes écoutaient avec défiance leur aîné qui depuis longtemps déjà était le chef de la famille. Il continua : Une fois logés, il n’y avait plus qu’à nous vêtir ; les restes de la fripperie de la mère ont servi jusqu’ici ; quant à la nourriture, nous pêchons dans la Bièvre ; nous vendons même une partie du poisson, assez tranquillement grâce à une bonne femme de marchande de mouron, qui dit que nous vendons avec elle, parce que son commerce ne lui suffit pas, et à peine si de temps à autres elle accepte un petit poisson pour son chien. << Si notre sœur Marthe n’était pas morte, nous aurions été heureux ici ; mais nous ne pouvions nous habituer à ne plus la voir. Mais vous ne pouvez habiter toujours ici, dit Claire. Telle n’est pas notre intention, quand les petits seront en âge de travailler nous sortirons, mais ne croyez pas qu’ils manquent ici d’éducation, au moins ! Claire allait de surprise en surprise. Notre sœur Marthe, continua l’aîné, avait commencé ses études pour être institutrice, lorsque la mort de mon père commença nos malheurs, elle nous a instruits mon frère et moi, et à notre tour nous instruisons les plus jeunes comme nous pouvons. « Quant à nous, de temps en temps, nous ajoutons quelques livres à la bibliothèque, et nous arrivons à savoir, à peu près, ce que savent les jeunes gens de notre âge. ▸ Ce jeune homme, cet enfant, parlait avec simplicité et agissait avec énergie ; sur son large front pâli par la bise d’hiver, bruni par le soleil d’été, on lisait une résolution peu commune ; ses grands yeux noirs, déjà sombres avaient des éclairs. Entraînée par sa confiance, Claire raconta en termes si mesurés, que l’aîné seul pouvait comprendre, ses tristes aventures : Il lui semblait avoir une expérience plus grande que la sienne. Il n’avait pas de peine, la pauvre Claire ayant été élevée au couvent. Que comptez-vous faire ? demanda le petit vagabond. Retourner chez mon oncle le plus promptement possible, et tout lui dire, afin qu’il prévienne la justice. — Votre oncle, ma pauvre enfant (ce petit se sentait vieux devant la naïveté de Claire), votre oncle ne vous croira pas ; d’après ce que vous m’avez dit de son caractère, il est fervent catholique. Oui, dit Claire, il est prêtre. — Ce n’est pas toujours une raison pour être croyant ; mais enfin, votre oncle est convaincu Oui ! — Eh bien ! il n’hésitera pas entre le témoignage d’une jeune fille qu’il croira folle, et celui d’une sainte personne ; votre oncle ne pourra vous croire.