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LA MISÈRE

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Il prit Claire dans ses bras aussi facilement qu’il eut fait d’un enfant ; ces petits vagabonds étaient tout nerf. Diable ! vous n’avez pas chaud, dit-il, heureusement vous changerez d’habits chez nous ! Ils pressaient le pas dans les chemins déserts cachant la lanterne. Une heure après, vers le milieu de ce chemin creux et montant, qui conduit d’Arcueil à Montsouris, ils s’arrêtèrent, interrogeant les environs. Pas un bruit ! le silence le plus profond. Alors, dans un endroit du talus formé de pierres noircies par le temps, ils en cherchèrent plusieurs marquées d’un signe particulier, les déplacèrent et découvrirent ainsi un conduit souterrain, dans lequel ils s’engagèrent, après avoir replacé de l’intérieur les pierres dans le même état qu’elles étaient auparavant. Ce conduit les mena à des souterrains spacieux, soutenus, çà et là, de forts piliers. C’étaient les catacombes. Voilà chez nous ! dit un des plus jeunes avec orgueil. Nous ne sommes pas mal logés, n’est-ce pas ? Et surtout en sûreté, reprit l’aîné ; cette partie des catacombes ne communique pas avec celle où on se promène, il y a deux sorties, celle-ci et une bien loin, dans les carrières de Clamart au milieu des bois, personne ne les connaît ; c’est par celle de Clamart que nous avons tout découvert et nous l’avons murée. — Mais, vous devez avoir besoin de vous reposer, nous allons vous conduire dans la chambre de Marthe. Marthe, dit le second, c’était notre sœur qui est morte. — Elle est enterrée dans le grand cercueil de pierre, dit un des petits ; il y en a beaucoup des cercueils dans la grande salle, avec un peu de poussière dedans ; nous avons donné le plus grand à Marthe, c’est elle aussi qui avait la plus belle chambre, vous allez voir ! Ils conduisirent Claire dans un caveau où se trouvait un lit, une vieille table, et des planches chargées de livres ; c’était aussi la chambre d’étude. Les petits vagabonds étaient lettrés. Nous vous laissons seule, dit l’aîné, vous trouverez les vêtements de Marthe dans la malle, changez-vous, et nous reviendrons vous apporter de quoi vous réchauffer. Ils la laissèrent seule avec une lampe posée sur la table. Elle eut besoin de rappeler toute son énergie pour ôter ses vêtements mouillés, et soulever les planches qui fermaient la malle aux vêtements. Cette malle était une longue boîte de pierre, plus large à une extrémité qu’à l’autre, un cercueil romain comme celui où ils avaient enseveli leur sœur. Les enfants avaient décoré les murs de cette crypte avec des médailles trouvées dans les sépultures ou entre les mâchoires de quelques squelettes. Un des jeunes vagabonds lui demandant de loin si sa toilette était terminée, sur sa réponse affirmative ils apportèrent une tasse pleine d’une boisson chaude