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LA MISÈRE

475 « Dites à M. X… (pour lequel j’ai travaillé pendant soixante ans) que je suis le second de ses ouvriers mort de faim, tandis que nous lui amassions des millions. >> Il avait ajouté en bas, d’une petite écriture ronde : (A valoir) HENRI. L’attention que lui portait Brodard encourageant la vieille, elle ajouta : « Vous savez bien, M. X… c’est lui qui possèdè un quartier de Paris à lui tout seul. On dit qu’il laissera plus de trente millions à ses enfants. « Aussi, c’est ceux-là, qu’attendent avec impatience ! il peut tourner de l’œil, ce ne sera jamais assez vite pour eux. « Mais faut bien qu’il y ait des riches et des pauvres ! n’est-ce pas, monsieur ? c’est la volonté du bon Dieu. S’il n’y avait pas de gens malheureux, on ne pourrait plus faire la charité ! Et vous dites qu’il a été enterré hier ? demanda Brodard, retrouvant enfin la parole. Oui, c’est les autorités qui l’ont fait enterrer. Depuis huit jours que je ne l’avais vu, je le croyais à son travail. Y ne faisait jamais plus de bruit qu’une souris. « C’est l’odeur qui l’a fait découvrir. Comment ses nièces ne sont-elles pas venues le voir, dit Brodard. Ses nièces ! Ah ! en voilà d’une belle engeance ! c’est tout jeune, corrompu jusqu’à la moelle des os ! ça tient du père qu’est au bagne. Y faut bien croire que c’est un criminel, n’est-ce pas, monsieur ? puisque les juges l’ont condamné deux fois une pour avoir pétrolé, l’autre pour avoir assommé un agent. « Il faut bien respecter les agents, n’est-ce pas, monsieur ? puisqu’ils sont pour rétablir l’ordre ». Et sa figure de brebis prenait un air solennel. Croiriez-vous, monsieur, qu’après qu’on lui eut pardonné de s’être fait déporter, il est revenu juste pour assommer un tas de monde avec son fils qu’avait pas plus de seize ans. > Elle avait bêlé cette harangue d’un seul trait, carrément posée sur ses jambes, ne s’interrompant que pour aspirer une longue traînée de tabac étalée entre le pouce et l’index, tout du long de la main. ornée. En voulez-vous ? demanda-t-elle à Brodard en lui présentant sa main ainsi Merci, dit Brodard. Il avait eu d’abord un mouvement d’indignation, mais la pensée de ses enfants. le retint. Je suis chargé, dit-il, de retrouver cette famille ; si vous me fournissez. des renseignements ils vous seront bien payés, ne craignez rien. Mais ça peut être dangereux de s’occuper de ce monde-là ce doit être dé-