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Tout ce capital, c’est-à-dire toute cette accumulation de travail humain, qui était sa propriété aux yeux de tous, ce capital lui produisait l’effet d’un fardeau sur la poitrine. Cela l’étouffait. Sur qui s’en décharger sans alarmer sa conscience ? Le temps pressait. La mort venait et rien n’était prêt pour le grand voyage. Voilà, à force de combiner les moyens pour arriver à son but, il se trou vail qu’il lui manquait le principal : un agent de sa volonté. La poitrine oppressée, la bouche ouverte, la respiration sifflante, la tête renversée sur le dossier de son fauteuil, M. de Saint-Cyrgue attendait avec anxiété le retour du maître d’école. En l’entendant revenir, il poussa un soupir de soulagement. Cher homme ! » lui dit-il en lui tendant la main, « cher homme ! à quel dan ger vient d’échapper ma fortune. Sans vous, elle devenait un instrument de dégradation. >> Il s’essuya le visage où perlait une sueur glacée.
- Sans vous, poursuivit-il, j’allais faire banqueroute à l’humanité. Si vous saviez
combien j’avais hâte de vous sentir près de moi, de vous témoigner ma reconnaissance. » Léon-Paul répondit qu’il était bien sensible à toutes ces marques de sympathie. Mais, en fait de reconnaissance, c’est lui qui en devait à M. de Saint-Cyrgue. Le vieillard lui avait rendu le seul bien qu’il eut au monde : sa liberté. « Hélas ! » > fit le comte, « il est assez triste que la liberté ou la captivité d’un citoyen, puisse dépendre, dans notre pays, du caprice, de l’intérêt ou de l’influence d’un autre homme. >> Léon-Paul ne répondit qu’en renouvelant ses remerciements. Il avait hâte de se rendre chez les pauvres Brodard. En conséquence, il demanda la permission de se refirer pour porter à une pauvre famille le billet de mille francs qu’il venait de recouvrer d’une façon si miraculeuse. Le vieillard l’écoutait d’un air inquiet. Il lui dit : — Ne me quittez pas, mon ami, ne me quittez pas, je vous en conjure. Je sens mes forces diminuer de minute en minute. Léon-Paul expliqua qu’il s’agissait d’un dépôt. L’obstiné vieillard répondit que les intérêts du prolétariat tout entier étaient supérieurs à celui d’un individu ou d’une famille. Dans l’esprit de Léon-Paul, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute : Dans la morale qui réglait les actions de cet obscur apôtre du progrès, les intérêts privés se subordonnaient tous à l’intérêt général. Il s’assit. N’ayant pas plus de paroles que de temps à perdre, le comte remercia de la tête et continua :