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« On était venu l’arracher à cette vie d’insouciance pour le conduire dans la triste impasse où il n’avait été distrait que par le travail et où, sa vénération, son amour pour sa mère, avaient pu seuls lui faire supporter des jours si pleins de travail et de larmes. >> « Arrivé dans un des faubourgs d’Issoire, Gaspard entra dans une petite maison blanche, sans volets, avec des fenêtres garnies de vignes. ». « Il traversa un petit corridor, puis une petite cour remplie de volaille et frappa aux carreaux de la cuisine. » « Ne recevant pas de réponse, il pensa que la servante de l’abbé Donizon, c’était ce dernier qu’il venait voir, était aux vendanges. Il poussa la barrière et entra dans le jardin, petit coin fleuri, dans lequel le vieux curé de Saint-Bernard passait la moitié de son temps. » « C’est là que la culture de la terre, la méditation et l’étude consolaient le brave prêtre de sa disgrâce. Naturellement, il avait été interdit pour s’être mêlé de socialisme pratique. » « Heureusement ! » avait dit l’évêque on frappant son indigne subordonné, « < heureusement que pour l’édification des fidèles, l’entreprise impie avait été renversée par le bras tout puissant de Celui qui a dit : Il y aura toujours des pauvres parmis vous ! » « Sur une petite terrasse d’où l’on découvrait la grande plaine de Lavaure, bornée par l’Allier et dominée par la colline de Lagrange, l’abbé était assis et regardait la campagne. Un chien, vieilli à son service, était couché à ses pieds. Sur une petite table de bois blanc, devant lui, étaient ouverts un évangile et les Géorgiques, deux livres qui résumaient sa vie d’homme et de prêtre : l’amour de la nature et le sentiment du devoir. >> « Gaspard s’avançait à pas lents, dans l’allée étroite bordée de thym et d’oseille vierge. Le chien, après avoir tourné la tête du côté du visiteur, ayant poussé un petit grognement amical, avait repris position sur les pantoufles de lisière du bon curé. » “ << M. Donizon, absorbé par la vue des champs, n’entendit pas venir Gaspard, il poursuivait le monologue dont le penseur prend souvent l’habitude dans l’isolement. » « O belle nature ! » disait-il, « vivante image de la stabilité éternelle, tu es la dernière amie du sage ! Telle il t’a aimée au printemps de sa vie, alors que le prisme intérieur éclaire et réjouit tout des magnifiques reflets de la jeunesse, telle il te revoit à travers les glaces de l’âge. » > « Gaspard qui avait entendu les dernières paroles de l’abbé se jeta dans les bras de son vieil ami en disant : « — Avec quel lyrisme, vous parlez aujourd’hui de la nature, mon père ! hélas ! je ne suis pas comme vous : la pureté du ciel me fait mal à voir. Je le voudrais sombre et plein de tempêtes ! » > « -> C’est que ton cœur couve un orage, » répondit le vieillard « et que, suivant la pente égoïste de la nature humaine, tu voudrais t’assimiler le ciel même ; le rendre triste ou gai, suivant les dispositions de ton humeur ! »