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LA MISÈRE

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« Tous les associés, moyennant de faibles primes, s’assuraient contre l’incendie, la grêle, la mortalité des bestiaux, les accidents et même contre le chômage, de sorte que chacun pouvait jouir des avantages du présent, sans avoir peur pour l’avenir. » « La nomenclature de tant de bienfaits que l’acte appelait restitution, répartition des richesses communes, n’en finissait pas. >> << Saint-Bernard allait être un morceau de paradis. On pleurait, on s’embrassait. Les vieux croyaient rêver et n’osaient se livrer à la joie. Il fallait voir. > « Et pourtant c’était fini ! Il ne manquait plus que M. le maire. Lui venu, on signerait le pacte communal. » « Un murmure s’éleva dans la salle : Le voilà ! le voilà ! » > « < C’était Gustave. C’était bien lui. Il n’était pas seul. Il entra, suivi de Madozet, s’avança vers la place d’honneur qui lui était réservée, s’assit comme un automate et jeta sur l’assemblée un regard glauque. Il était livide. » « Un grand silence succéda aux acclamations. L’abbé présenta l’acte à Gustave. Suffoqué lui-même par la plus douce émotion, le vieux précepteur ne vit pas celle de son jeune ami. << Le marquis prit le papier d’une main tremblante, le parcourut de ses yeux hagards, le déchira et en jeta les morceaux sur l’assemblée. » a Voilà, » dit-il en désignant du doigt Madozet, « voilà votre nouveau patron… Moi, je ne suis plus rien !… plus rien !… La foudre est tombée sur moi !… Qu’elle tombe aussi sur vous !… Je suis un arbre mort… la cognée est dans mes veines… Adieu, oiseaux et fourmis… Ah ! ah ! ah ! » Et, au milieu de la foule épouvantée, il tomba raide, verdi, effrayant. » << Telles avaient été, il y avait dix-sept ans, les péripéties du drame dont les derniers actes allaient se jouer dans la maison mystérieuse de la rue du Chien, où Valentine avait caché son fils et la folie de son mari. » > • La tentative de répartition équitable des produits du travail sombrait avec la raison d’un homme. Pourquoi

?

Parce que l’opinion publique, ce grand courant qui devrait être la force motrice de toutes les actions des détenteurs de la fortune, l’opinion se traînait alors, comme elle se traîne encore aujourd’hui, dans l’ornière creusée par tous les préjugés métaphysiques, œuvres des religions du passé ou des philosophies officielles du présent. La misère revint à Saint-Bernard sans scandaliser personne. Elle y revint avec la spéculation impudente d’un industriel qui ne voyait dans les prolétaires associés à ses travaux, que des outils dont l’entretien ne le regardait pas. Pour son argent, il en avait tant qu’il voulait. L’affaire qu’il avait faite avec M. de Bergonne et qui doubla sa fortune fut regardée par tout le monde comme un trait. de génie qui plaça Madozet au premier rang des grands industriels. Après trente ans on rit encore en Auvergne de l’utopie de Saint-Bernard. Tous les curés, tous les bons apôtres, tous les vrais conservateurs avaient bien