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LA MISÈRE

« Et il avait tenu parole. » > « Quand ses deux élèves avaient été en état de le comprendre, il leur avait ex- pliqué ses vues sur l’association agricole, sur la répartition des bénéfices du travail, sur les devoirs de la richesse. » « Le jeune marquis n’avait pas alors prêté une grande attention aux plans de son précepteur. Son âme était encore fermée aux grands sentiments. Mais Ar- tona n’en avait pas perdu un mot et les gardait pieusement dans son cœur comme les préceptes d’une morale nouvelle. Il les méditait et travaillait à les ren- dre applicables, en les systématisant. » « Valentine s’était sacrifiée pour payer la dette de son père, mais elle n’aimait pas Gustave. Celui-ci le sentait et, cherchant à pénétrer dans le cœur de celle qu’il adorait, s’était avisé, afin peut-être de paraître grand à ses yeux, de lui parler des vues de l’abbé, comme tout prêt à en seconder la réalisation. >> « Là-dessus Valentine avait pris feu. Le marquis avait changé de proportions, sinon dans son âme au moins dans son imagination. Cette fortune immense qu’elle n’avait pas ambitionnée et dont elle ne savait que faire, allait donner un but à sa vie, et quel but ! >> « Elle s’efforça donc d’aimer, elle se fit croire qu’elle aimait Gustave, s’exal- tant les qualités de cet enfant, que le pouvoir de ses charmes transformait en homme. » « < Il est petit, » se disait-elle, « mais son âme est grande et je le ferai le premier entre tous les nobles d’Auvergne. » << Malheureusement, rien ne pouvait se faire sans l’indispensable Artona, sans l’ami de cœur du jeune Bergonne. Lui seul pouvait le seconder dans son entre- prise, lui seul avait à la fois la conception théorique et le génie pratique de la grande affaire. > « Valentine, en le trouvant au château de Saint-Bernard, au milieu d’une lé- gion d’ouvriers, donnant des ordres d’un air mélancolique, sentit que le beau sécrétaire était profondément enraciné dans son cœur. » (C Et, pour élever entre eux une barrière de plus, elle fit le projet de le marier à Lucy. » Mais Artona montra de la répugnance à entrer dans ce projet. Sombre, taci- turne, presque maussade, il essaya, de son côté, de déplaire à Valentine. Il devait tout à Gustave et ne voulait pas être ingrat. Mais ses efforts étaient visibles, et la jeune marquise se dit un jour avec un effroi, qu’il n’était pas sans charme : « il m’aime aussi, lui. » « Cette constatation faite de ses propres sentiments et de ceux d’Artona, la marquise ne fut plus d’aussi bonne foi dans les efforts qu’elle tenta pour se guérir. » , Depuis sa sortie du couvent, Valentine avait lu, et lisait encore beaucoup de romans. Là, sans doute, elle avait puisé les grands sentiments de fraternité qui l’avaient fait s’associer avec feu aux projets humanitaires de son mari ; mais là aussi son âme s’était teinte d’une fatale couleur de romantisme qui lui faisait trouver quelque chose de voluptueux dans les déchirements de son cœur. »