271 LA MISÉRE Hélas il ne fallait pas même penser à se procurer une occupation lucrative. La tentative d’assassinat commise sur M. Rousserand fermait la porte de tous les ateliers à la famille Brodard. Il n’y avait rien à faire pour l’instant que de subir son pauvre sort. Si encore Brodard revenait !… Enfin, il ne pouvait pas tarder. Et Magdeleine n’osait pas aller à la recherche d’Angèle, dans la crainte de se croi ser avec lui. Il fallait bien que quelqu’un fût là pour le recevoir. Jacques, à. la maison, c’était la misère en moins, une protection en plus. Elle connaissait bien son mari, c’était ça un homme ! un père ! Oh ! il trouverait le moyen de travailler. Pour leur donner du pain, il irait casser des pierres sur les routes, s’il le fallait. Cette confiance, qu’elle avait en son mari attendrissait la pauvre femme et des larmes humectaient ses yeux brûlés par l’insomnie. Maintenant, Jacques ne pouvait tarder. La justice ne serait pas la justice, si elle retenait plus longtemps un innocent en prison. Mais les heures passaient et la pauvre mère attendait toujours en vain sa fille et son mari. Tout à coup des pas légers firent crier les marches de bois de l’escalier, Magdeleine pensa que c’était Angèle. Enfin elle revenait ! Sa mère se leva pour aller lui ouvrir, mais l’émotion était trop forte. Ses jambes tremblantes ne pouvaient porter M Brodard. Elle se rassit. On frappa. Cela donna un coup à Magdeleine. Ce n’était pas sa fille. Angèle n’avait pas besoin d’avertir pour entrer chez elle. C’était une jeune personne étrangère qui venait. Cette jeune fille pâle, agitée, l’air honteux, dit qu’elle venait du Dépôt où elle avait laissé Angèle en proie à la plus horrible inquiétude, au sujet de la petite Lize, abandonnée chez Olympe, depuis la nuit du jeudi. Elle était allée d’abord rue Sainte-Marguerite pour essayer de secourir l’enfant, mais l’horrible vieille qui gardait la porte avait refusé de la laisser monter et même de lui laisser expliquer les choses. Elle venait chercher la mère d’Angèle qui aurait plus d’autorité, peut-être ; Mme Brodard était la grand’mère de l’enfant. Elle avait des droits… Il y avait urgence. Il ne fallait pas perdre une minute. Depuis la nui du jeudi. Depuis jeudi s’écria Mme Brodard, mais quel jour sommes-nous donc ? Samedi. — Samedi ! Alors l’enfant est morte ! Et ma fille ! ma fille aussi en prison ? Oh tenez, mademoiselle, je ne vous crois pas, je ne peux pas vous croire. L’enfant… cet amour de petite Lize !… ma pauvre Angèle !… Non, voyez-vous c’est un rêve. Quand on est si malheureux que nous sommes, le sommeil est plein de songes terribles. Je vais m’éveiller ! attendez un peu que je m’éveille. Mais M Brodard, songez donc que toutes les minutes sont sans prix si vous voulez essayez de sauver l’enfant d’Angèle. Non non ! vous ne dormezpast Tout ce que je vous dis n’est que trop vrai. Venez vite. Allons dit Magdeleine comme égarée. Je vous suis… conduisez-moi, mon enfant, ayez pitié de moi… J’ai la tête perdue, voyez-vous !… Je ne vous ai même pas remerciée, c’est que vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir ce que nous
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LA MISÈRE
