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LA MISÈRE

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. Comme il l’aimait ! sa chère Magdeleine, et il énumérait dans son cœur toutes les bonnes qualités qui la rendaient aimable : C’était une travailleuse et avec ça toujours de bonne humeur, toujours le mot pour rire. Elle ne ressemblait pas à ces femmes de mérite, acariâtres qui vous font envier les rigoleuses. Et puis quelle mère ! Toujours avec ses enfants. Il avait promis de la rendre heuseuse ! Eh bien ! de ce côté là, n’y avait-il rien à dire ? Avait-il tenu ses serments ? La main sur la conscience, avait-il quelque chose à se reprocher à l’égard de sa femme ? Non ! non ! à part quelques petites scènes de jalousie, dans les commencements, une ou deux parties avec les camarades, d’où il était revenu un peu pompette, il n’y avait pas eu la moindre querelle entr’eux. Pas seulement ça. Et retirant l’ongle du pouce d’entre ses dents, il les faisait claquer. Plus il avait vécu avec Magdeleine, plus il l’avait aimée, car plus il l’avait estimée ! Comme fils, avait-il fait son devoir ? Oui, sa mère était morte dans ses bras en le bénissant, en lui souhaitant, comme récompense à Magdeleine et à lui, d’avoir des enfants qui leur ressemblent. Et quand la famille était venue, et avec elle la gêne, n’avait-il pas, pour nourrir ses petits et laisser sa femme à la maison, travaillé jusqu’à dix-sept heures par jour ? Oui, c’était bien ça, en été il allait à la cuve avant l’aurore et ne rentrait le soir qu’à la nuit, pouvant à peine manger, pouvant à peine trouver la force de se déshabiller, tant il était las, quand il s’endormait du lourd sommeil du bœuf, et du travailleur surmené. Il avait bien supporté toutes les charges de la famille, sans en avoir d’autres joies que celles du dimanche, quand on allait se promener ensemble. Mais ces joies étaient rares. Il y avait eu les maladies, la diminution dans les heures de travail, quand ça n’allait pas, il y avait eu parfois de la misère. Hé ! bien ! quoi ! il ne s’était pas plaint. Il avait subi son sort sans penser, seulement, qu’il était victime d’un état de choses subversif. L’idée que dans le dénûment, on pût se révolter contre les riches ne lui était venue qu’en déportation, au contact d’hommes réellement convaincus que le sort du prolétaire est entre ses mains, et qu’étant le nombre, il dépend de lui de changer sa destinée. Mais là encore il n’avait rien fait que des réflexions. Était-ce de cela qu’on voulait le punir ? Ces pensées le reportaient à la Nouvelle Calédonie. Il revoyait la mer, il entendait les cyclones battre les récifs, fouetter les vagues, déraciner les arbres des forêts, et il pensait qu’entre l’homme et la nature il y a bien des ressemblances. Peut-être, quand elle bouleverse tout, essaye-elle de changer quelque chose aux lois qui la maîtrisent. Sait-on à quelle secrète impulsion obéissent les forces de l’ouragan ? i