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mains dans ses notes, et qu’elles aimaient ce qui est vide.

En peinture, elles se demandaient comment on peut regarder d’autres tableaux que ceux de Boucher et si les belles choses qu’on voit sur les vieux éventails ne valent pas bien les grandes vilaines toiles toutes pleines d’ombre qui impressionnent leurs nerfs délicats.

À les entendre raisonner ainsi, il y avait de quoi leur jeter à la tête tous les cadres dorés, et le piano par dessus le marché ; mais cela ne leur aurait pas donné plus de sentiment, et ce n’était pas leur faute si la sotte éducation qu’elles avaient reçue les avaient empêchées de se développer.

Tout à coup Madame de Pouffard s’avisa de faire mettre Rose André au piano ; il allait sans dire qu’il ne fallait jouer que des polkas, des mazurkas, quelques schottichs, une valse qu’elle avait commencée leur faisait, disaient-elles, tourner la tête.

Comme on ne doit pas jeter les gens par la fenêtre, même lorsqu’ils sont de ce genre-là, Rose André continua résolûment son supplice pendant près de deux heures.

Lasse, elle s’avisa de leur jouer ses impressions. Il y avait des cadences ironiques, des roulements gros de colère, des notes frappées tout à coup, comme si l’harmonie indiquée eût voulu briser l’instrument ; des suites d’accords qui étaient des menaces.

Ces dames trouvèrent tout cela ravissant, surtout les cadences et les trilles qui leur riaient au nez.

Madame de la Truffardière demanda si les petites étaient musiciennes.