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INTRODUCTION


couleurs. » À quelques jours de là, voyant un fils de ce même Francia, qui était un beau garçon : « Mon fils, lui dit-il, ton père fait mieux les figures au vivant qu’en peinture. »

LXVIII. — Michel-Ange est de bonne complexion. Son corps, plutôt nerveux et osseux, est charnu et gras. Par nature autant que par exercice du corps et par continence dans le vivre et dans le manger, sa santé est florissante, encore que, dans son enfance, il ait été maladif et changeant et que, étant homme, il ait souffert deux fois de maladies. Cependant, depuis quelques années, il est atteint d’une indisposition qui eût pu dégénérer en maladie de la pierre, si les bons soins et la diligence de messer Realdo, déjà nommé, ne l’en eussent délivré. Son visage a toujours porté bonne couleur. Comme stature, son corps est de taille ordinaire, large des épaules et, pour le reste, de proportions plutôt menues. La figure est ronde, de telle sorte qu’à partir du haut de l’oreille, le front développé occupe la moitié de l’ovale. Les tempes saillantes bombent un peu plus que les oreilles, et celles-ci plus que les joues, qui avancent sur le reste ; en sorte que la tête, en proportion du visage, peut être comptée parmi les grandes. Le front est carré et le nez un peu écrasé, non de naissance, mais parce qu’un certain Torrigiano de Torrigiani, garçon bestial et fier, cassa, un jour, au jeune homme, dans une dispute, le cartilage du nez. Michel-Ange fut porté comme mort chez son père, et Torrigiano, banni de Florence pour ce méfait, mourut de male mort. Cependant le nez, tel qu’il est, se tient en proportion avec le front et le reste du visage. Les lèvres sont minces, et celle de dessous un peu plus grosse, au point de paraître quelque peu en avant à qui regarde le profil. Le menton accompagne bien le reste du visage. De profil, le front avance sur la ligne du nez ; celui-ci paraîtrait moins cassé, s’il n’avait pas au milieu une petite saillie. Les cils sont peu fournis, les yeux plutôt petits, de couleur de corne, mais variés et tachetés d’éclats jaune et azur. Il porte noirs les cheveux, comme la barbe ; cependant, à l’âge de soixante-neuf ans, le visage que je décris a mêlé assez abondamment des poils blancs. La barbe est bifourchue, longue de quatre ou cinq doigts et peu fournie, comme on peut s’en rendre compte dans les portraits du maître. Il y aurait bien d’autres choses à dire que j’ai laissées de côté pour faire lire plus tôt cet écrit, quand j’ai appris que certains à qui j’avais confié ces notes voulaient se faire l’honneur de profiter de mes fatigues avant moi-même. Mais s’il arrive que d’autres, dans la suite, veuillent entreprendre la même Vie, je m’offre de leur communiquer ou de leur donner par écrit tout ce qui m’en reste. J’espère, avant longtemps, mettre dehors les sonnets et les madrigaux de Michel-Ange, tels que je les ai recueillis de lui et d’autres ; et je publierai cet essai, pour donner au monde la preuve du trésor d’invention et de la beauté de pensées qui naquirent dans ce génie divin. Sur ce mot, je termine.

III

Ainsi parle l’aimable Condivi de son terrible maître, d’après le manuscrit italien que son auteur dédia au pape régnant Jules III, en 1553, et que les Archives du Vatican conservent depuis. Et Michel-Ange, que dira-t-il