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MICHEL-ANGE.

ne fut pas seulement généreux de ses œuvres, mais il le fut souvent aussi de sa bourse pour subvenir aux besoins de quelque pauvre artiste valeureux en lettres ou en peinture ; et je peux en apporter le témoignage, ayant moi-même éprouvé ses bienfaits. Il n’envia jamais les travaux des autres, même en son art, plus par bonté de nature que pour l’opinion qu’il avait de lui-même. Il a, au contraire, toujours universellement loué les grands artistes, sans en excepter Raphaël, avec qui il eut, comme je l’ai écrit, à essuyer quelques assauts sur le terrain de l’art. Tout ce que je lui ai entendu dire, c’est que Raphaël tenait son art moins de la nature que de ses longues études. Le reproche que plusieurs lui font, de n’avoir pas voulu faire des élèves, est sans fondement ; car il en reçut bien volontiers, et je l’ai expérimenté pour mon compte, moi à qui il a fait connaître tous les secrets que pouvait renfermer son art. Mais la malechance a voulu que ce maître soit tombé sur des élèves peu aptes ou qui, s’ils le furent, ne voulurent pas persévérer et se crurent devenus aussi des maîtres, après seulement quelques mois passés sous sa discipline. Pour tant de spontanéité que Michel-Ange ait mise à enseigner des élèves, il n’aimait pas pourtant qu’on le sût, préférant faire le bien que d’y paraître. Il faut même qu’on sache qu’il chercha toujours à enseigner l’art à des personnes nobles, de préférence à des plébéiens, selon l’usage que pratiquèrent les Antiques.

LXVII. — Il est d’une mémoire très tenace, de telle sorte qu’après avoir fait tant de milliers de figures qu’on peut voir, il n’en a jamais exécuté une qui fût semblable à une autre ou qui répétât la même pose. Je lui ai même entendu dire qu’il ne se décidait jamais à tirer une ligne sans se rappeler qu’il n’eût jamais fait la même, et il l’effaçait si elle avait pu être déjà vue. Sa puissance imaginative est telle qu’il ne se contente jamais de ses ouvrages et qu’il les critique souvent, sa main ne paraissant point être arrivée à réaliser l’idée qu’il s’était d’abord proposée. De là naît chez lui, comme chez ceux qui se livrent à la vie de contemplation, une timidité qui le gêne jusqu’à ce qu’une juste indignation la remplace quand on fait injure et tort, soit à lui, soit à autrui. En ce cas et pour le devoir seulement, il possède autant d’âme que les plus courageux. Pour le reste, il est la patience même. On ne pourrait assez louer sa modestie et, non plus, ses autres habitudes, qui furent mesurées et aimables même avec des mots aigus, comme ceux dont il usa à Bologne, un jour, envers un gentilhomme. Celui-ci s’étonnant de la grandeur et de la masse de cette statue de bronze que Michel-Ange venait de couler pour le pape Jules, lui dit : « Que pensez-vous qui soit plus gros, de cette statue ou d’une paire de bœufs ? — Cela dépend de quels bœufs ! répondit Michel-Ange. Si vous parle de ceux de Bologne, oh ! sans doute, ils sont plus gros. Mais à Florence les nôtres sont moins forts. » En voyant aussi cette statue, le Francia, qui en ce temps passait à Bologne pour un Apelle, dit : « Voilà une belle matière ! » Michel-Ange, croyant que l’artiste voulait louer plutôt le métal que la forme, répondit en riant : « Si c’est une belle matière, je dois en savoir gré au pape Jules qui me l’a donnée, comme vous devez le faire vous-même aux droguistes qui vous donnent les

    de Jules II, passèrent de la maison de messer Roberto Strozzi à la maison de François Ier, roi de France. Ils figurent aujourd’hui au Musée du Louvre.