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INTRODUCTION

Forli, maître de chambre de Jules III, que ce pape a affirmé bien des fois que volontiers, s’il lui était possible, il s’enlèverait de ses années et de son propre sang pour les ajouter à la vie de Michel-Ange et pour que le monde ne soit pas sitôt près de perdre un tel homme. Moi-même avant eu accès auprès de Sa Sainteté, de mes oreilles je le lui ai entendu dire et ajouter que, s’il lui survit, — comme le veut le cours naturel de la vie, — il veut faire embaumer son corps et le conserver près de lui, afin que son cadavre soit, comme ses œuvres, un enseignement perpétuel. Cette chose, il l’a dite au début de son pontificat à Michel-Ange lui-même, en présence de nombreux auditeurs ; et je ne sais quelles paroles peuvent honorer davantage Michel-Ange, ni prouver plus grandement quel compte en fait ce pontife.

LIX. — Jules III en donna encore une preuve manifeste quand, à la mort de Paul III, il fut fait pape et qu’en Consistoire, en présence de tous les cardinaux qui se trouvaient alors à Rome, il prit la défense de Michel-Ange contre les intendants de la Fabrique de Saint-Pierre. Ces derniers — non par sa faute, ajoutait-il, mais par celle de ses ministres — ayant voulu priver l’artiste de cette autorité dont le pape Paul III l’avait investi par un motu proprio dont nous parlerons plus loin, ou tout au moins la restreindre, Jules III le défendit si bien que, non seulement il confirma ce motu proprio, mais l’amplifia de bien autrement dignes paroles, ne voulant plus prêter l’oreille ni aux querelles des surintendants ni à toute autre requête. Michel-Ange — il me l’a dit bien des fois — connait l’affection et la bienveillance du pape Jules envers lui, et il les lui rend bien en respect ; mais, comme en son rang inférieur il ne peut lui en faire l’échange et lui prouver sa gratitude, il ne lui en restera pas moins reconnaissant, toute sa vie. Une chose, ajoute-t-il souvent, le réconforte un peu : c’est que, connaissant la discrétion de ce pape, il espère que la sienne propre sera aussi reconnue et qu’il fera agréer sa bonne volonté, faute de mieux. Néanmoins, pour tant que ses forces diminuent, il ne les gardera pas moins, toute sa vie, quoi qu’elles vaillent, au service du pape, — ceci encore, il me l’a dit. C’est ainsi que Michel-Ange, à la requête de Jules III, a fait un dessin pour la façade d’un palais [1] que ce pape a voulu bâtir à Rome. Pour qui la voit, c’est une chose inusitée et nouvelle, et liée à aucune manière ni loi antique ou nouvelle. C’est ce qu’il a fait aussi dans plusieurs monuments de Florence et de Rome, pour prouver que l’architecture n’a pas besoin d’être traitée absolument comme autrefois et que, pour être sujette à de nouvelles inventions, elle n’en paraîtra ni moins curieuse ni moins belle.

LX. — Pour revenir à l’anatomie, il a fini par renoncer à disséquer les cadavres. Ces longues opérations lui avaient retourné l’estomac, au point de ne pouvoir ni manger ni boire, à son profit. Dans cette science il avait fini par acquérir de telles connaissances, qu’il s’était résolu plusieurs fois — pour rendre service à ceux qui s’occupent de sculpture et de peinture — a écrire un ouvrage qui contiendrait toutes les manières et apparences des mouvements humains, et une ingénieuse théorie de l’ossature par lui retrouvée pour son usage. Il l’aurait écrit, s’il n’avait douté de ses forces à traiter dignement un tel sujet, comme ferait un praticien en fait de science.

  1. Le palais Farnèse.