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MICHEL-ANGE.

jour, le duc de Florence voulant faire la forteresse <ref>Elle fut construite vers 1534, sur les plans de Pier Francesco, de Viterbe.<ref> qu’il érigea dans la suite, et ayant chargé Alexandre Vitelli d’amener Michel-Ange à cheval pour voir commodément ensemble où elle pourrait être construite, celui-ci n’y voulut point aller et répondit qu’il n’en avait pas commission du pape Clément. Le duc s’en indigna fortement. Pour ce manque de respect et pour une malveillance déjà ancienne jointe à la mauvaise nature d’Alexandre, Michel-Ange eut bien raison d’avoir peur. Dieu le protégeait certainement quand, à la mort de Clément, il se trouva absent de Florence, ayant été appelé à Rome par ce pape qui le reçut avec joie, avant que les tombeaux des Médicis fussent finis. Ce pape respectait cet homme, comme une chose sacrée ; et il s’entretenait familièrement avec lui de choses graves et légères, comme il eût fait avec un égal. Il chercha à le décharger du tombeau de Jules II, afin qu’il se tînt plus fermement à ceux de Florence et que, non seulement il finît les choses commencées, mais qu’il en entreprît encore de plus belles.

XLVII. — Mais avant de pousser plus loin ce récit, il faut rapporter, sur cet homme, un autre fait que, par inadvertance, j’ai négligé de citer précédemment. Après le violent départ des Médicis de Florence, la Signoria, appréhendant une guerre, comme nous l’avons dit, s’était résolue à fortifier la ville. Bien que le talent supérieur de Michel-Ange et son aptitude exceptionnelle à ces travaux fussent connus, néanmoins, sur le conseil des quelques citoyens qui favorisaient le parti des Médicis et qui voulaient empêcher qu’on fortifiât la ville en prolongeant et en atermoyant ce projet, voulurent envoyer le maître à Ferrare pour le motif spécieux d’y étudier la manière dont le duc Alphonse avait fortifié sa cité. On savait, en effet, que l’Excellence était fort habile en cet art et très prudente en toutes choses. Le duc reçut Michel-Ange avec un très souriant visage, tant en raison de la réputation de l’homme que parce que don Hercule, son fils, était capitaine de la Signoria de Florence. Chevauchant de concert avec lui, il ne fut rien qu’il ne lui montrât, tant en bastions qu’en artillerie. Il en vint jusqu’à lui ouvrir, de sa propre main, toute sa garde-robe et de lui tout montrer, et surtout certaines œuvres de peinture et des portraits de ses pères peints par des maîtres excellents pour le temps où ces œuvres furent faites. Quand Michel-Ange s’apprêta à partir, le duc en plaisantant lui dit : « Michel-Ange, vous êtes mon prisonnier. Si vous voulez que je vous laisse libre, je veux que vous me promettiez défaire quelque chose de votre main, comme vous le voudrez, soit sculpture, soit peinture. » Michel-Ange le promit. Revenu à Florence, bien qu’il fût très occupé à fortifier sa cité, il ne commença pas moins un tableau de musée qui représentait le Cygne de Léda. Le duc apprit cela, en même temps que la rentrée à Florence de la maison des Médicis. Comme il craignait dans ces tumultes de perdre un tel trésor, il envoya un des siens qui, arrivé à la maison de Michel-Ange et voyant le tableau, dit : « Oh ! c’est bien peu de chose ! » Et ayant demandé à Michel-Ange quel était son métier, comme celui-ci savait que chacun n’est bon juge qu’en son propre art, répondit en raillant : « Je suis marchand. » Sans doute, il était stupéfié d’une telle demande et de n’avoir pas été reconnu