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INTRODUCTION


chambres, toutes les caisses et jusqu’aux cheminées et aux cabinets privés. Michel-Ange, craignant ce qui allait arriver, s’était enfui dans la maison d’un de ses grands amis, où il resta caché plusieurs jours. Il fut ainsi sauvé dans cette maison où personne, excepté cet ami, ne sut qu’il y était présent. Passée la fureur de la guerre, Michel-Ange fut recherché dans Florence par le pape Clément, qui, l’y faisant retrouver, lui demanda s’il voulait continuer le travail des tombeaux qu’il avait déjà commencés. À ce compte, on lui assurerait sa liberté et on userait de courtoisie envers l’artiste. Ce qu’entendant, Michel-Ange sortit de sa retraite et, bien qu’il n’eût pas touché à un ciseau depuis près de quinze ans, il se mit à l’œuvre avec une telle ardeur qu’en quelques mois seulement il fit toutes les statues qui se voient dans la Sacristie de Saint-Laurent. À ce travail, la peur le stimulait plus que l’amour. Il est vrai qu’aucune de ces statues n’a été achevée. Elles furent cependant poussées à un tel degré de perfection, qu’on peut bien y reconnaître l’excellence de l’artiste. L’ébauche n’exclut pas la perfection et la beauté de cet ouvrage.

XLV. — Ces statues, au nombre de quatre, sont placées dans une sacristie faite exprès pour elles, sur la partie gauche de l’église, à l’opposé de la sacristie vieille. Bien que la même idée ait présidé à leur facture, elles sont néanmoins toutes différentes et en des attitudes diverses. Elles sont placées deux à deux sur les façades latérales et reposent couchées sur des corniches, de grandeur plus que naturelle. Hommes et femmes, elles signifient le Jour et la Nuit et, toutes deux à la fois, le Temps, qui consume toute chose. Pour que cette idée soit mieux comprise, il a ajouté une chouette et d’autres attributs à la Nuit, que représente une femme d’une merveilleuse beauté. Ainsi, pour signifier le Temps, il voulait faire un rat. Pour cela, il avait laissé un peu de marbre non travaillé sur l’œuvre. (Il en fut empêché, dans la suite.) Sa raison était que cet animal continuellement ronge et détruit, non autrement que le Temps qui anéantit tout. Deux autres statues représentent les personnages pour qui ces tombeaux furent érigés, et tous avec des attitudes plutôt divines qu’humaines. Il faudrait mentionner, entre toutes, une Madone avec son divin Fils sur un de ses genoux ; mais plutôt que de n’en point assez dire, j’aime mieux me taire et je passe. Nous devons ces belles choses au pape Clément qui, pour tant qu’il ait fait de nombreuses et louables choses, s’il n’avait que celle-ci à son acquit, suffirait à payer au monde, par un si noble ouvrage, le droit d’en faire oublier ses défauts. Notre gratitude envers lui s’augmente de ce fait, qu’au siège de Florence il ne prit pas en moindre considération la valeur de cet homme que n’avait fait, avant lui, pour Archimède, le consul Marcellus au siège de Syracuse. Mais si la bonne volonté de l’un fut sans effet, celle de l’autre, Dieu merci ! porta ses fruits.

XLVI. — Malgré tout, Michel-Ange vivait dans une peur extrême du duc Alexandre [1], qui le haïssait fort. Ce jeune homme, comme chacun sait, était féroce et vindicatif. Il n’est point douteux que, sans le respect qu’il devait au pape, il n’eût fait disparaître l’artiste. Et ceci d’autant mieux qu’un

  1. Alexandre, duc de Civita di Penna, bâtard de la maison des Médicis (1510-1537).