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INTRODUCTION

toute cette œuvre en vingt mois, sans avoir été aidé de personne, pas même d’un qui lui broyât les couleurs. Il est vrai aussi que je lui ai entendu dire qu’elle n’est pas achevée comme il l’aurait voulue, à cause de la hâte du pape. Comme celui-ci lui demandait un jour quand il comptait finir cette chapelle et que le peintre lui répondit : « Quand je pourrai : » le pape furieux ajouta : « As-tu envie que je te fasse jeter bas de ton échafaudage ? » Ce qu’entendant, Michel-Ange dit, à part lui : « Fais-le, si tu l’oses ? » Le pape étant parti, il fit démolir le pont et découvrit l’ouvrage. Le jour de la Toussaint, il fut vu à la grande satisfaction du pape, qui tint chapelle ce jour-là, et à l’admiration de Rome entière qui accourut. Il y manquait des retouches avec de l’azur d’outremer à sec et un peu d’or en quelques endroits, pour que cette peinture parût plus riche. Son ardeur passée, Jules voulut que Michel-Ange y pourvût ainsi ; mais celui-ci, considérant l’embarras que donnerait l’échafaudage à rétablir, répondit que ce qui y manquait n’était point chose qui importât. « Il faudrait cependant faire les retouches d’or, » objectait le pape. À quoi Michel-Ange répondit familièrement, comme il en avait l’habitude avec Sa Sainteté : « Je ne vois pas que les hommes portent tant d’or sur eux. » Et le pape d’ajouter : « Cette peinture sera pauvre. — Ceux que j’ai peints là, répondit l’artiste, furent pauvres aussi ! » Ainsi se plaisantant lui-même, le maître en resta là. Michel-Ange eut, pour cet ouvrage et pour tout payement, trois mille ducats ; et il dut en dépenser en couleurs, selon ce que je lui ai entendu dire, environ vingt ou vingt-cinq.

XXXIX. — Quand il eut achevé cet ouvrage, Michel-Ange qui, pour le peindre, avait tenu si longtemps les yeux levés vers la voûte, avait fini par y voir peu en regardant à terre. Quand il avait à lire une lettre ou à regarder quelques menus documents, il lui était nécessaire de les tenir levés au-dessus de sa tête. Néanmoins, peu à peu, il s’apprit à lire encore en regardant en bas. Cette preuve nous donne la mesure de l’attention assidue qu’il porta à cet ouvrage. Il lui arriva bien d’autres histoires, du vivant du pape Jules, qui l’aima du plus profond de ses entrailles et qui eut pour lui plus de soins jaloux que pour tout autre de son entourage. Nous l’avons assez démontré par ce que nous en avons déjà écrit. Un jour qu’il craignait de l’avoir mécontenté, il l’envoya apaiser sur-le-champ. La chose se passa de la sorte. À la Saint-Jean, Michel-Ange, voulant aller jusqu’à Florence, vint demander au pape de l’argent. Celui-ci lui demanda quand serait finie sa chapelle ; et Michel-Ange de lui répondre, selon son habitude : « Quand je pourrai ! » Le pape, qui était d’une nature emportée, et qui tenait un bâton à la main, l’en frappa en disant : « Quand je pourrai ! Quand je pourrai ! » Là-dessus, rentré à la maison, Michel-Ange, sans demander ses restes, se préparait au départ pour Florence, lorsque survint le jeune Accurcio qui avait les faveurs du pape et que celui-ci envoyait à Michel-Ange avec cinq cents ducats et la prière de le calmer, le mieux qu’il pourrait. Michel-Ange accepta l’excuse et ne partit pas moins pour Florence. Il semble que Jules II n’ait pas eu de plus grand souci que de se conserver cet homme. Il ne voulut pas seulement s’en servir pendant sa vie, mais il voulut encore s’assurer de ses services après sa mort, avant laquelle il ordonna que son tombeau, commencé par Michel-Ange, fût achevé par lui. Il en donna la charge au vieux