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INTRODUCTION


visage courroucé : « Tu avais à venir vers nous, et tu as attendu que nous allions vers toi ! » voulant dire par là qu’étant venu à Bologne, ville plus rapprochée de Florence que ne l’était Rome, c’était Jules II qui s’était dérangé. Michel-Ange, se mettant à genoux, demanda pardon à haute voix et s’excusa en disant qu’il n’avait pas péché par méchanceté, mais par indignation d’avoir été chassé comme il l’avait été. Le pape restait la tête courbée, sans rien répondre et tout troublé d’aspect. Alors le cardinal Soderini, comme pour excuser et recommander Michel-Ange, osa s’interposer et dire : « Que Votre Sainteté ne regarde pas à la faute ; car, s’il a erré, c’était par ignorance. Les peintres, en dehors de leur art, sont tous les mêmes. » À ces mots, le pape, indigné, de répondre : « Tu lui dis là une vilenie que nous ne lui disons pas. L’ignorant et le malheureux, c’est toi et non lui. Va-t’en : que je ne te voie plus devant moi, pour ton malheur. » Et comme le cardinal ne partait pas encore, il fut, au dire coutumier de Michel-Ange, jeté dehors par les serviteurs du pape, et à coups de bâton affolants. Ainsi le pape, ayant déchargé sa colère sur l’évêque, appela Michel-Ange plus près de lui, lui pardonna et lui commit de ne pas quitter Bologne avant d’avoir reçu de lui une autre commande. Il n’attendit guère pour l’envoyer chercher, et il lui dit qu’il voulait en être portraicturé en une grande statue de bronze qu’il ferait placer au frontispice de l’église de Saint-Pétrone. À cet effet, ayant fait déposer mille ducats à la banque de messer Antonmaria de Legnano, il s’en revint à Rome. Il est vrai qu’avant le départ du pape, Michel-Ange l’avait modelé en terre. Ne sachant quel mouvement prêter à la main gauche, quand la main droite faisait semblant de donner la bénédiction, il profita d’une visite du pape, venu pour voir la statue, et il lui demanda s’il ne lui plairait pas de tenir un livre : « Quel livre ? répondit Jules. Une épée, plutôt. Car, de lettres, je n’en sais point. » Et plaisantant sur la main droite au mouvement vivace, il dit en souriant à Michel-Ange : « Cette statue-là donne-t-elle la bénédiction ou la malédiction ? » À quoi Michel-Ange répondit : « Saint-Père, elle menace ce peuple, s’il n’est pas sage. » Comme je l’ai déjà dit, le pape Jules s’en revint à Rome, et Michel-Ange resta à Bologne. Il y passa seize mois à préparer la statue et à la placer à l’endroit désigné par le pape lui-même. Dans la suite les Bentivolio ayant réintégré Bologne, le peuple en fureur jeta à terre cette statue [1]. Sa grandeur dépassait de trois mesures la taille naturelle.

XXXIII. — Cette œuvre étant finie, Michel-Ange s’en vint à Rome, où le pape Jules voulait l’utiliser. Comme celui-ci persistait dans sa pensée de ne pas donner suite au tombeau, il se laissa mettre en tête par Bramante et par les autres rivaux de Michel-Ange de lui donner à peindre la voûte de la chapelle de Sixte IV, qui est dans le palais (du Vatican), avec l’espoir que l’artiste y ferait miracle. À cet office, Bramante n’employait que malice pour détourner le pape de la sculpture. Il tenait pour certain, ou que Michel-Ange, en refusant cette commande, courroucerait le pape, ou qu’en l’acceptant il y réussirait moins bien que Raphaël d’Urbin, à qui, par haine de Michel-Ange, on accordait toutes les faveurs. N’estimait-on point que l’art principal de ce maître était la statuaire ? Et vraiment c’était bien elle. Michel-

  1. La chose arriva, sous Jean de Bentivolio, le 30 décembre 1511.