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INTRODUCTION

il conviendrait de pousser la construction jusqu’au faîte et de la recouvrir. Le pape lui demanda : « Quel argent faudrait-il ? » Michel-Ange répondit : « Cent mille cens. — Va pour deux cent mille ! » dit Jules. Et la volonté ayant pris le pape de refaire l’église tout entière, il manda sur les lieux l’architecte San-Gallo et Bramante. De tous les plans proposés celui de Bramante fut accepté, comme le plus beau et le mieux entendu. Ainsi Michel-Ange fut cause : 1° que la partie de la construction déjà commencée s’achevât (et elle serait encore à faire, si l’incident cité n’eût pas eu lieu ; 2° que le désir vint au pape de renouveler le reste de la basilique sur un nouveau plan plus beau et plus magnifique.

XXVIII. — Mais revenons à notre histoire. Michel-Ange se rendit compte du changement de volonté du pape par l’incident qui va suivre. Le pontife lui avait confié que, lorsqu’il aurait besoin d’argent, il ne devrait s’adresser à d’autre qu’à lui-même pour n’avoir pas à tourner ici et là. Or, un jour, arrivèrent à quai les marbres qui étaient restés à Carrare. Michel-Ange, les ayant fait débarquer et porter à Saint-Pierre et voulant paver aux bateliers le transport et le déchargement, vint demander au pape de l’argent ; mais il trouva l’entrée plus difficile et le pape occupé. C’est pourquoi, de retour chez lui, pour ne pas donner d’ennui à ces pauvres gens qui avaient à recevoir leur dû, il les paya tous de ses deniers, pensant bien qu’il pourrait retirer commodément chez le pape cet argent avancé. Revenu un autre matin, Michel-Ange s’était avancé jusqu’à l’antichambre pour avoir audience, quand un palefrenier l’arrêta en disant :« Pardonne-moi, mais j’ai ordre de ne pas vous laisser entrer. » Ceci fut dit en présence d’un évêque qui, entendant les paroles du palefrenier, le releva en disant : « Tu ne sais donc pas quel est cet homme ? — Je le sais très bien, répondit le palefrenier, mais je dois faire ce que mes maîtres m’ont ordonné, sans chercher davantage. » Michel-Ange, devant qui jusqu’alors n’était jamais resté baissée une portière ni fermé un verrou, se voyant ainsi éconduit et mis en dédain en un tel cas, répondit au valet : « Et vous dire au pape que si dorénavant il me veut, il aura à me chercher ailleurs. » Là-dessus, s’en retournant chez lui, il ordonna à ses deux serviteurs d’avoir à vendre tout le mobilier de sa maison et, l’argent réalisé, d’avoir à le suivre à Florence. Il monta aussitôt en poste, et à deux heures de nuit arriva à Poggibonsi, château placé sur le territoire de Florence et distant de cette ville d’à peu près dix-huit ou vingt milles. Etant là en lieu sûr, il se reposa.

XXIX. — Peu de temps après, arrivèrent cinq courriers de Jules auxquels le pape avait donné mission de lui ramener Michel-Ange, en quelque lieu qu’ils le trouvassent. Mais, l’ayant rencontré sur un territoire où il ne pouvait lui être fait violence, ils menacèrent Michel-Ange, s’ils ne réussissaient pas autrement, de le faire assassiner. Ils finirent par des prières et, celles-ci ne leur servant pas davantage, ils obtinrent du fugitif qu’il répondit au moins à la lettre du pape qu’ils lui avaient présentée, et qu’il mentionnât particulièrement sur sa réponse qu’ils ne l’avaient rejoint que sur le territoire de Florence, pour que le pape entendît bien qu’ils ne l’avaient pu ramener de là, contre sa volonté. La lettre du pape disait que, vu la présente, Michel-Ange retourne sur-le-champ à Rome, sous peine de la disgrâce papale. Michel-Ange répondit brièvement qu’il n’y retournerait jamais plus ; que,