ment étonnante et digne d’être écrite, je l’ai contée telle que me l’a apprise Michel-Ange lui-même. Trois années environ avaient couru, depuis la mort de Laurent le Magnifique jusqu’à l’exil de ses enfants. Michel-Ange pouvait bien avoir vingt ou vingt et un ans. Pour éviter les premiers tumultes populaires jusqu’à ce que la ville de Florence reprît quelque forme meilleure, il séjourna à Bologne avec le gentilhomme déjà nommé, qui se plaisait à son talent et l’honorait beaucoup. Chaque soir, son hôte lui faisait lire quelques pages de Dante ou de Pétrarque, jusqu’à ce que le sommeil le prît.
XVII. — Un jour, en le promenant par Bologne, l’hôte le conduisit voir le tombeau de saint Dominique dans l’église dédiée à ce saint. Il lui fit remarquer qu’il y manquait deux figures de marbre, un saint Pétrone et un ange à genoux, portant un chandelier, et il lui demanda s’il se sentait de force à les sculpter. Michel-Ange ayant répondu oui, son hôte s’employa à lui en faire donner la commande au prix de trente ducats, soit dix-huit pour le saint Pétrone, et pour l’ange douze. Les figures avaient trois palmes de haut, et elles peuvent se voir, encore aujourd’hui, sur ce même tombeau. Dans la suite, Michel-Ange ayant le soupçon d’un sculpteur bolonais qui se plaignait de s’être vu enlever ces statues commandées à lui et qui le menaçait de lui faire une mauvaise affaire, aima mieux s’en retourner à Florence. Les affaires politiques s’y étaient, d’ailleurs, calmées, et il pouvait revenir vivre en sûreté dans sa maison. Il était resté auprès de messer Gian-Francesco Aldobrandi un peu plus d’une année.
XVIII. — Ainsi rapatrié, Michel-Ange se mit à faire en marbre un dieu de l’Amour, de six à sept ans, étendu comme s’il dormait. En le voyant, Laurent de Pier Francesco des Médicis (pour qui, entre temps, Michel-Ange avait fait un petit Saint Jean) jugea cette nouvelle œuvre très belle et dit à l’artiste : « Si tu l’accommodais de manière à ce qu’elle paraisse avoir été trouvée sous terre, à ta place, je l’enverrais à Rome ; elle y passerait pour antique, et tu la vendrais bien mieux. » Michel-Ange, ayant entendu cela, fit aussitôt subir à sa statue une préparation, comme pouvait le savoir faire celui à qui rien d’ingénieux n’était caché ; si bien qu’elle paraissait avoir été faite bien des années auparavant. Ainsi envoyé à Rome, ce marbre fut acheté, comme antique, deux cents ducats par le cardinal de Saint-Georges. Mais l’intermédiaire qui avait reçu cet argent écrivit à Florence qu’il fût versé à Michel-Ange trente ducats, ce Cupidon n’en ayant pas obtenu davantage. Ainsi il trompait à la fois Laurent de Pier Francesco et Michel-Ange. Sur ces entrefaites, la nouvelle que cet Amour avait été fait à Florence étant parvenue à l’oreille du cardinal, celui-ci, indigné d’avoir été leurré, envoya là-bas un de ses gentilshommes qui feindrait de chercher un sculpteur pour faire un certain ouvrage à Rome. D’un atelier à l’autre, l’envoyé arriva à la maison de Michel-Ange. Voyant le jeune homme et voulant s’éclairer précautionnément sur ce qu’il désirait savoir, il le pria de lui montrer quelques-uns de ses ouvrages. Michel-Ange, n’en ayant pas à l’atelier, prit une plume (car en ce temps-là le crayon n’était pas en usage), et il dessina une main avec une telle maîtrise que le visiteur en resta stupéfait. Celui-ci lui demanda s’il avait déjà fait œuvre de sculpture. Michel-Ange répondit oui et, entre autres, un Cupidon de telle mesure et en telle pose. Le gentilhomme avait appris ce qu’il voulait savoir. Il lui raconta com-