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APPENDICES

Cette divine faveur sera d’autant plus précieuse pour moi qu’elle est plus rare et que, sans elle, on ne trouve ici-bas ni paix ni bonheur véritables.

Oui, la foi seule fait jaillir dans le cœur la source des pleurs amers du repentir ; et les portes du ciel ne s’ouvrent que par elle.


SONNET XXXIV
Se spesso avvien…

Souvent l’espoir qu’enfante le désir promet à mes jours passés quelques jours fortunés encore ; mais plus la vie offre d’appas, moins eiie aoit me sembler chère.

Pourquoi souhaiter, en effet, de plus longs jours et de nouveaux plaisirs, si toutes les joies de la terre nuisent d’autant plus à notre âme qu’elles sont plus durables et plus vives ?

Aussi lorsque ta grâce viendra renouveler en moi cette foi, cet amour, ce zèle ardent qui rend vainqueur du monde et remplit l’âme d’assurance ;

Lorsque tu me jugeras moins indigne de ta miséricorde, étends soudain sur moi ta main divine, o Seigneur, pour me ravir dans le ciel. Car les plus saintes résolutions ne durent point au cœur de l’homme.


SONNET XXXV
Giunto è già’l corso…

Porté sur un fragile esquif au milieu d’une mer orageuse, j’arrive, sur le soir de la vie, au port commun où tout homme vient rendre compte du bien et du mal qu’il a fait.

Je reconnais combien, dans son idolâtrie pour les arts, mon âme passionnée fut sujette à l’erreur ; car il n’y a qu’erreur dans les terrestres affections de l’homme.

Pensers d’amour, si doux et si frivoles, que deviendrez-vous maintenant que je m’approche de deux morts, l’une certaine et l’autre menaçante ?

Ni la peinture ni la sculpture ne me charmeront plus désormais. Mon âme s’est livrée tout entière à l’amour de Dieu qui ouvrit ses bras sur la croix, pour nous y recevoir [1].


SONNET XXXVI
Appena in terra…

Je les connus à peine, ces beaux yeux qui brillèrent tels que deux astres, au milieu de ce monde plein de ténèbres, et qui, fermés un moment par la mort, se sont rouverts dans le ciel pour y contempler la Divinité.

Ah ! quels regrets pour moi d’avoir connu trop tard une si rare beauté ! Mais ce n’est qu’aux indignes regards des mortels que l’odieux trépas l’a ravie ; à vous, elle vous est toujours présente par la pensée.

Toutefois, cher Louis [2], l’art ne pouvant imiter que ce qu’il voit, pour reproduire en marbre, d’une manière aussi vraie que durable, cette angélique beauté qui n’est plus, hélas ! que poussière,

  1. À Georges Vasari, pour s’excuser de ne plus sculpter ni peindre.
  2. À Louis del Riccio, qui lui avait demandé le portrait d’une morte aimée.