Page:Michel-Ange - L’Œuvre littéraire, trad. d’Agen, 1911.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
APPENDICES

Pour qu’après tant de souffrances, je reçoive le prix si désiré de mon amour, et que je jouisse à jamais dans son ineffable possession.


SONNET XIII
Com’ esser, donna, puote…

Comment se peut-il (et cependant l’expérience l’atteste) qu’une figure, tirée d’un bloc insensible et brut, ait une plus longue existence que l’homme dont elle fut l’ouvrage ; et qui lui-même, au bout d’une brève carrière, tombe sous les coups de la mort ?

L’effet ici l’emporte sur la cause, et l’art triomphe de la nature même. Je le sais, moi pour qui la sculpture ne cesse d’être une amie fidèle, tandis que le temps, chaque jour, trompe mes espérances.

Peut-être puis-je, ô mon amie, nous assurer à tous deux un long souvenir dans la mémoire des hommes, en confiant à la toile ou au marbre nos traits et nos sentiments.

Mille ans après nous encore, on saura quel fut mon amour pour toi ; on verra combien tu fus belle, et combien j’eus raison de t’aimer.


SONNET XIV
S’un casto amor…

Si l’amour le plus chaste, uni à la plus haute piété ; si une fortune, des plaisirs et des maux également répartis entre deux amants qu’un même désir anime ;

Si une seule âme en deux corps, et un même élan vers le ciel ; si une égale flamme, nourrie à la fois dans deux cœurs que le même trait a profondément blessés ;

Si une préférence mutuelle et l’oubli constant de soi-même ; si un amour qui ne veut d’autre prix que l’amour ; si enfin des prévenances, des soins réciproques,

Et un empire mutuellement exercé l’un sur l’autre, sont les indices certains d’un attachement inviolable, un moment de dépit rompra-t-il de tels nœuds ?


SONNET XV
Se ’l fuoco fosse…

Si l’amour qu’on puise dans vos yeux égalait leur beauté ravissante, est-il un cœur assez froid qu’une pareille flamme ne consumât tout entier ?

Mais, pour tempérer cette ardeur brûlante et mortelle, le ciel, compatissant à nos maux, nous dérobe en partie l’éclat brillant dont il vous a douée.

Non, l’amour que vous inspirez n’égale point vos attraits ; car l’homme ne peut s’enflammer que pour ce qu’il est capable de voir, d’admirer et de comprendre.

Et moi-même, hélas ! dans ma languissante vieillesse, si je ne vous semble pas assez épris de vos charmes, c’est qu’il ne m’a pas été donné de les connaître pleinement.


SONNET XVI
Per esser manco, alta signora…

Voulant paraître, ô noble dame, moins indigne de vos bontés, j’essayai, malgré mon faible génie, de me montrer avec quelque mérite à vos yeux.