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MICHEL-ANGE.

qu’elle ait peu d’importance. Je puis vous dire que jamais je n’ai communiqué vos lettres aux agents du duc d’Urbin, et je ne le ferais pas sans votre permission ou celle du pape… Messire Jérôme Staccoli n’est pas à Rome. Il y a environ un mois qu’il partit pour Urbin, avec le cardinal de Mantoue ; et nous attendons ses lettres ou celles du duc, pour connaître la volonté de ce prince ; mais il n’est encore rien arrivé. Je trouve, dans cette affaire, beaucoup plus de droiture chez l’ambassadeur du duc que chez messire Jérôme. L’ambassadeur lui-même m’a dit de ne pas prendre garde aux paroles brusques et sans aucune importance de ce dernier, car c’est un homme coléreux de sa nature. Le pape aussi m’a dit qu’il lui ferait faire ce qu’il voudrait, et que nous n’ayons aucun souci de messire Jérôme.

Maintenant, mon compère, j’ai fort bien lu votre lettre et j’en ai bien compris le sens ; vous me pardonnerez, mais vous faites au duc une offre trop grande, celle de deux mille ducats avec la maison, qu’elle soit à vous ou à lui. En admettant qu’elle soit à lui, je pense que le pape la fera sans difficulté mettre en compte dans le prix du tombeau, et il suffira que vous donniez mille ducats. Avec la maison et vos mille ducats, ce qui fera environ deux mille, on pourra finir cet ouvrage selon vos intentions. Notre seigneur trouve aussi l’offre trop grande ; car vous dites avoir reçu sept mille ducats, et en dépenser encore deux mille de votre argent, ce serait vous réduire à rien. J’estime que les figures exécutées Talent plus de quatre mille ducats, sans la marbrerie, qui en vaut bien encore deux mille.

Je vous assure que, si vous vouliez faire une paire de figures, je me ferais fort de vous avoir de chacune mille ducats et quelques centaines de plus. Ce serait comme une base pour l’estimation du tombeau et de toutes vos autres œuvres ; les travaux pour votre ami rendent la chose impossible, mais ce serait le moyen de faire tenir tranquille messire Jérôme, etc. On n’a donc encore rien offert, et, si vous avez fait erreur dans votre lettre, il n’importe. Je vous la renvoie, décidez-vous bien, pensez bien à vos intérêts, et ne vous jetez pas ainsi tout d’un trait, comme une proie, avec deux mille ducats comptants à la première attaque. Vous avez le pape pour vous, et il fera tout ce que vous voudrez en semblable occurrence, car il ne désire autre chose que de vous maintenir en santé et content de cette affaire et de toute autre. Je sais qu’à cet égard il ne pourrait être plus à votre gré.

Quand je lui montrerai votre post-scriptum où vous dites que la 2e figure est terminée et que vous avez commencé la 3e, il sera transporté de joie ; mais je ne veux pas le lui montrer avant d’avoir reçu l’autre lettre, car il voudra la voir. Je ne vous dirai pas autre chose. Le Christ vous conserve en bonne santé. Pardonnez-moi de ne pouvoir, avec la plume, vous raconter ni vous expliquer les choses, comme je le ferais en une demi-heure auprès de vous.

Agréez la bonne et fidèle volonté de votre

Sébastien des Lucianis,
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