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APPENDICES

vois pas, d’ailleurs, comment on pourrait tirer de Florence, si vous n’y étiez plus, les statues faites pour ce tombeau, tant celles qui sont finies que celles qui sont ébauchées.

Ces mots leur percèrent le cœur, et ils avoueront que je disais vrai et que je parlais dans leur intérêt, plutôt que dans le vôtre. Ils résolurent de convertir le duc à tout ce que vous voulez, surtout l’ambassadeur, qui me dit de ne pas prendre g irde aux paroles de messire Jérôme, qu’il ferait si bien que le duc et messire Jérôme se rendraient à ce que vous voulez, tant mes paroles les intimidèrent. Je leur dis qu’il y avait une paire de figures qui valaient dix mille ducats, et qu’ils pouvaient lever les mains au ciel de vous trouver en si bon vouloir. En sorte que messire Jérôme est parti pour Urbin et m’a promis de s’y bien employer. L’ambassadeur a écrit aussi dans le même sens. J’ai rapporté tout cet entretien à notre seigneur, qui s’en est montré satisfait au plus haut degré. Il m’a dit de ne rien craindre de messire Jérôme, qu’il lui ferait faire tout ce qu’il voudrait. De plus, Sa Sainteté m’a ordonné de vous dire que, pour votre plus grand honneur, vous vous teniez au grand projet ; que vous devez être tranquille pour ce qu’il vous reste à dépenser, car vous ferez tout ; et que vous disiez la valeur des figures, des marbres, travaillés ou non, et de l’argent que vous avez reçu ; quand ils verront qu’il faut débourser le reste, ils en viendront à ce que vous voudrez, et c’est à peine si vous leur donnerez la maison. Sa Sainteté m’a dit que celui qui fait les horloges, Della Volpaia [1], a écrit au cardinal Salviati que vous ne désiriez pas autre chose. Le Saint-Père m’a dit aussi d’aller parler à Sa Seigneurie et de traiter avec elle cette affaire, où son intervention sera fort à propos. Dites-moi ce qu’il faut que je fasse, et, si vous le trouvez bon, écrivez-moi une lettre fictive que je puisse montrer à l’ambassadeur du duc et qu’il puisse, au besoin, envoyer à Son Excellence. Toutefois, témoignez-y l’intention de finir cette œuvre, dans le cas où vous seriez assuré pour le reste de la dépense. Au pape et à moi, écrivez ce qui vous plaira et ce que vous désirez.

Mon compère, je trouve le pape chaque jour plus désireux de vous faire plaisir. Il vous veut beaucoup de bien, et serait aussi heureux de vous satisfaire pour cet ouvrage, que vous de l’avoir terminé. Il m’a dit qu’il ne faut pas dire au duc ni à ses agents que vous le vouliez faire achever par d’autres, qu’il suffit bien que vous fassiez des dessins et des modèles et que vous dirigiez le travail : ils seront plus que satisfaits. Vous ne leur en avez fait que trop, de votre main ; ils peuvent être contents, et c’est là le point. Comment feront-ils pour ne pas l’être, ils ne peuvent vouloir que ce que vous voulez, et vous avez le pape pour vous. Pardonnez-moi, je ne puis avec la plume vous dire tout ; mais soyez certain que je ne vous écris pas de mensonges : toutes ces paroles ont été dites.

Pardonnez-moi de ne pas vous avoir envoyé la tête du pape. Je l’ai peinte sur toile, et c’est bien le teint du pape ; mais le pape veut que j’en fasse une autre sur pierre, et, dès que je l’aurai copiée, je vous l’enverrai. Je ne vous dirai pas autre chose. Tenez-vous en belle humeur et joyeux, car j’espère en Dieu que vous serez content. Le Christ vous conserve en santé. Je me recommande à vous mille fois, et je vous prie de me recommander à l’homme des horloges, Della Volpaia, qui me parait homme de bien et de notre bord ; je ne me rappelle pas son prénom.

je vous prie aussi de me dire ce qu’il en est de la maison, si elle est à vous ou aux héritiers du cardinal. De même, pour la somme d’argent que vous avez reçue et le prix de toute l’œuvre, car je ne sais que répondre à ceux qui me questionnent là-dessus, ni au pape.

Tout à vous,

Sébastien des Lucianis,
peintre.00000

XV

Au seigneur Michelange des Bonarotis, à Florence.
Le 19 août 1531, à Rome.0000

0000Mon très cher Compère,

Hier, je reçus de vous une lettre fort agréable, en date du 18 courant ; et aujourd’hui j’en ai reçu une autre, par les mains de l’homme du Ventazo, qui est du 19 et où vous me redemandez celle du 18. Je vous la renvoie, sans que personne au monde l’ait vue que moi ; mais je vous assure qu’il était temps. Demain, dimanche, je la montrerai au pape, bien

  1. Benvenuto della Volpaia, de Florence, horloger célèbre.