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MICHEL-ANGE.

Avant qu’on écrive ou qu’on mette rien en mouvement, prenez bien votre résolution, et l’on ne traitera sur aucun point que de votre consentement.

Plusieurs fois, j’ai voulu vous écrire, au sujet de votre maison. Votre bien est vraiment en fort mauvais état ; il est entre les mains d’un méchant sbire qui fait l’important et déclare qu’il a fait et dit, de façon qu’il faudra lui rendre bien des ducats, jusqu’au point de ruiner votre maison. De plus, l’atelier de marbrerie est englouti sous terre, le dommage est grand. Le mieux serait de retirer les marbres de cet effondrement et de mettre ces épaves dans le grand atelier, quoiqu’il y pleuve à travers le toit. Il serait bon de pourvoir à ce que tout cela ne fût pas perdu ; il y faut beaucoup de travail, de temps et une grande dépense. C’est donc à vous d’aviser : tout ce que vous ordonnerez sera fait, et rien de plus. Je suis tout à vous, et me recommande à vous mille fois. Le Christ vous conserve en santé.

Votre

Sébastien,00
peintre, à Rome.

XIV

Au seigneur Michelange des Bonarotis, à Florence.
Le 22 juillet 1531, à Rome.0000

0000Très cher Compère,

Ne vous étonnez pas que je n’aie pas répondu plus tôt à votre dernière lettre, que j’ai reçue le dernier jour du mois passé, et par laquelle vous m’informez de tout ce que j’ai à proposer aux agents du duc d’Urbin. Pour ne pas contrevenir à l’ordre de notre seigneur, je lui montrai votre lettre ; il la lut très attentivement, vit quelles étaient vos intentions et s’étonna beaucoup que vous offrissiez ainsi, sans restriction, deux mille ducats et la maison, pour faire achever le tombeau de Jules dans le délai de trois ans. C’est vraiment une offre trop large et trop à votre désavantage. Quand il vous serait sorti des mains trois mille ducats, vous le regretteriez, je crois. Mon compère, j’ai reçu les ordres du pape, car cela ne plait pas non plus à Sa Sainteté ; il ne veut pas que je fasse une offre pareille du premier coup, mais il m’a ordonné de parler à l’ambassadeur du duc et à messire Jérôme Staccoli, comme de moi-même et d’après les paroles de Jérôme de Genga, de voir comment je les trouverai disposés à cet égard et de lui rapporter leur réponse ; ce que j’ai fait. J’allai au palais de l’ambassadeur du duc, et, par hasard, j’y trouvai messire Jérôme Staccoli. Je leur racontai tout, comme de moi-même, je leur dis tout ce qui me paraissait devoir faciliter l’achèvement de l’œuvre, tout ce qui pouvait intervenir dans tous les cas, soit qu’on exécute le projet tout entier, soit qu’on le restreigne, et cela sans leur offrir d’y contribuer pour un liard. L’ambassadeur se montra fort satisfait, désireux de voir les choses marcher ainsi ; et je crois que, de lui, on ferait ce qu’on voudrait. Mais je trouvai messire Jérôme Staccoli un peu raide. Il me dit : « Je sais beaucoup mieux que vous ce que voudrait Michel-Ange. » Il ajouta : « Michel-Ange voudrait vendre la maison, et avec cet argent restreindre l’œuvre et la finir comme il l’entendrait. Cela n’est pas honnête. Il a reçu dix mille ducats : qu’il commence par payer, de cet argent, la dépense, et qu’on voie l’œuvre s’avancer ; puis, à la fin, quand on verra le travail arrivé au point où il conviendra de vendre la maison, on la vendra. » Il dit, en outre, que la maison n’était pas à vous, mais au cardinal Aginensis, et beaucoup d’autres paroles déplaisantes ; il ajouta encore qu’il avait engagé un procès avec vous, et que le contrat passé pour ce travail était entre ses mains. L’ambassadeur me dit : « Michel-Ange est en disgrâce auprès du pape ; il n’est plus en faveur, comme il en avait l’habitude ; aussi a-t-il des craintes sur cette affaire. » Je lui répondis très gaillardement que vous ne craignez rien, ni des papes, ni d’aucun seigneur du monde, mais que tout ce que vous désiriez faire, c’était pour votre honneur et pour les engagements que vous avez envers la sainte mémoire de Jules. Ces paroles les apaisèrent tous deux, et, pour conclure, je leur dis qu’il valait mieux, pour eux et pour Son Excellence le duc, se soumettre à votre volonté de faire ce qui vous paraîtra bon, d’une manière ou de l’autre, en achevant l’œuvre, que de s’en tenir à ces pointilleries et à ces discussions.

Si par malheur il arrivait, ce qu’à Dieu ne plaise, que vous vinssiez à mourir, l’œuvre ne s’achèverait ni d’une façon ni de l’autre, parce qu’il ne pleut pas des Michel-Ange et qu’il ne se trouverait pas d’hommes qui sussent la regarder, à plus forte raison la finir. Je ne