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APPENDICES

une chose plus à votre avantage, parce que je sais qu’il vous aime. Il vous connaît, il adore vos œuvres et les goûte autant qu’homme les ait jamais goûtées ; c’est une chose merveilleuse et une bien grande satisfaction pour l’artiste. Il parle de vous si honorablement, avec tant d’affection et d’amour, qu’un pure ne dirait pas de son fils ce qu’il dit de est bien vrai qu’il a été quelquefois contristé par certains bavardages qu’il entendait, pendant le siège de Florence ; il pliait les épaules et disait : « Michel-Ange a tort, je ne lui ai jamais fait injure. » Sachez donc le connaître, mon compère, prenez les choses du té et maintenez-vous en bonne humeur ; car avec les fatigues que vous endurez pour lui, il sait et on lui rapporte que vous travaillez jour et nuit et il en a une très grande joie. Il n’en aurait donc pas moins s’il savait que vous fussiez content, avec l’esprit en repos, et que vous eussiez pour lui l’affection qu’il a pour vous. Pat> ! ii, compère, si je parle trop à cœur ouvert ; l’affection que je vous porte et le bien que je vous veux t dire ce que je vous dis. Je voudrais que, de quelque autre manière qu’en peinture ou en sculpture, vous lui fissiez voir que vous êtes son serviteur et que, par ce moyen, vous coupassiez les jambes et la langue à vos ennemis ; car vous seriez homme à obtenir et à faire absolument tout ce que vous voudriez.

Je ne souhaiterais de vous qu’une seule grâce : c’est que, vous connaissant mieux, vous n’accordassiez pas votre attention aux moindres choses, et que vous vous souvinssiez que les aigles dédaignent les mouches. Et suffit. Je sais que vous vous moquerez de mon tabil, mais je n’en ai cure ; la nature m’a fait ainsi, et je ne suis pas Giovanni de Reggio.

Outre cela, en venant à Rome, je me trouvai à Pesaro avec un peintre attaché au duc d’Urbin. Il s’appelle Jérôme de Genga. C’est un homme de bien et qui montre de l’affection pour vous. Comme il croit que j’ai sur vous beaucoup d’influence, il me dit qu’il pourrait s’employer utilement à faire que le seigneur duc s’entendit avec vous, au sujet du travail du pape Jules, travail que le duc paraît avoir fort à cœur. Je lui répondis que l’ouvrage était en bonne voie, mais qu’il fallait encore huit mille ducats et qu’il n’y avait personne à qui s’adresser pour cette somme. Il me dit alors que le seigneur duc l’avancerait, mais que Sa Seigneurie craignait de perdre son argent et l’ouvrage et paraissait fort en colère. Après beaucoup de paroles, il me demanda si l’on ne pourrait pas restreindre cet ouvrage, de manière que l’on fût satisfait de part et d’autre. Je lui répondis qu’il fallait en parler avec vous. Compère, tout dépend de vous. Je crois pourtant que si vous faisiez voir quelque chose de ce travail, ils accepteraient tout, parce qu’ils tiennent plus à certaines apparences qu’à la vérité même, et je suis certain qu’il leur faudrait prendre médecine pour débourser ces huit mille ducats. Comme vous êtes sage et prudent, avant qu’aucune figure ne sorte de chez vous, étudiez-la bien, et n’ayez crainte de voir diminuer votre gloire et votre réputation ; car dans tout ce que vous voudrez, je crois que vous serez le même. Vous êtes trop grand. Mais je me désespère de ce que vous ne vous connaissez pas et vous vous rongez vous-même, tandis que la moindre chose pourrait tout calmer. Pour le présent je ne vous dirai pas autre chose. Pardonnez-moi si je ne vous ai pas donné de bonnes paroles. Je voudrais pourtant, s’il était possible, que ce peu de vie qui nous reste se passât dans quelque peu de repos ; il en serait temps. Le Christ vous conserve en santé.

Votre

Sébastien, 00
peintre, à Rome.

XII

Au seigneur Michelange des Bonarotis, mon seigneur très respectable, à Florence.

0000Très excellent Compère,

Vous serez, je crois, surpris que j’aie été tant de jours sans vous écrire. La première cause de mon silence a été que je n’avais à vous dire rien qui en valût la peine ; et la seconde, l’événement que vous avez appris, je pense, comment notre seigneur le pape Clément m’a nommé plombeur et m’a fait moine, à la place de Frère Mariano. Si vous me voyiez moine, je crois bien que vous en ririez. Je suis le plus beau frocard de Rome, chose en vérité à laquelle je ne crois pas avoir jamais pensé. Il est bel et bien survenu un Motu proprio du pape. Dieu soit loué dans l’éternité, car il paraît vraiment que Dieu l’a voulu ainsi. Et ainsi soit-il !