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MICHEL-ANGE.

majesté divine. Si je pouvais, avec la plume, vous exprimer l’inquiétude et le tourment que j’ai éprouvés à votre égard, vous en seriez dans l’étonnement. Le seigneur Fernand de Gonzague pourra vous en rendre bon témoignage, et Dieu sait quelle douleur je ressentis quand j’appris que vous alliez à Venise. Si je m’étais trouvé à Venise, il en eût été autrement : il suffit. Maintenant, mon compère, que nous avons passé par l’eau et par le feu, et que nous avons éprouvé des choses que l’on n’aurait jamais imaginées, remercions Dieu de toutes choses, et ce peu de vie qui nous reste, passons-le du moins dans le repos autant que possible. Il faut compter bien peu sur ce que fera la Fortune, tant elle est méchante et douloureuse. Je me suis réduit à ce point que l’univers pourrait crouler sans que je m’en soucie, et je me ris de toute chose. Menichella vous dira la vie que je mène et ma position. Il ne me semble pas que je sois encore le Bastiano que j’étais avant le sac de Rome, je ne puis encore revenir à moi. Je ne vous dirai pas autre chose. Le Christ vous conserve en santé.

Quant à venir à Rome, suivant ce que me dit maître Menichella, cela ne me paraît pas nécessaire, à moins que vous n’y veniez en promenade. Vous pourriez remettre en ordre votre maison, qui, à vrai dire, est en mauvais état dans presque toutes ses parties, comme les toits et autres choses. Vous savez, je crois, que la salle où se trouvait l’atelier de marbrerie s’est effondrée avec les marbres travaillés : c’est une pitié. Vous pourriez remédier à cela et prendre quelques mesures. Pour moi, j’en serais heureux, car je jouirais un peu de vous, et je meurs du désir de vous voir, j’en suis impatient ; mais faites ce qui vous paraîtra le mieux. — Votre très fidèle compère

Sébastien de Luciani.0000

XI

À mon très cher messire Michelange Bonaroti, sculpteur, à Florence.
Le 29 avril 1531, à Rome.0000

0000Mon très cher Compère,

Il y a bien des jours que j’ai reçu de vous une lettre, à moi fort agréable, en réponse à celle que vous a portée Menichella. La vôtre m’a été apportée par Benvenuto, l’horloger florentin, et Baccio, mercier ou marchand de cire, serviteur de notre seigneur. Mais en vérité votre lettre m’a été remise ouverte, ce dont j’ai eu grand déplaisir. Si j’ai tardé si longtemps à vous répondre, c’est que je n’ai pu encore vous envoyer la tête de notre seigneur. Il est bien vrai que j’en ai une, peinte avant le sac de Rome, sans barbe, et que je ne crois pas devoir convenir. N’ayant pu trouver le temps d’en peindre une à mon gré, je n’ai encore rien fait ; mais je m’en occuperai bien certainement et, le plus tôt que je pourrai, je vous l’enverrai. J’ai tardé aussi, faute d’en avoir trouvé le moyen, de vous écrire et de vous envoyer mes lettres, comme vous m’enverriez les vôtres, sans qu’elles soient ouvertes : Qu’en pensez-vous ? J’ai rencontré Bartolomeo Angiolini, qui me paraît un homme de bien et a fait voir beaucoup d’affection et d’attachement pour vous. Je lui ai parlé du fait de la lettre ouverte, et il m’a répondu que je pouvais sans crainte lui donner les miennes, qu’elles vous seraient remises en mains propres. Vous donnerez de même les vôtres à Lorenzo Manucci, chasublier sur la Place, et faites la suscription d’une autre sorte de caractères, pour qu’elle ne paraisse pas de votre main, ou faites faire la suscription par une autre personne, pour qu’on n’y reconnaisse pas votre écriture, ou bien faites une enveloppe à la lettre et adressez-la à Bartolomeo Angiolini, en mains propres, à la douane de Terre ; il m’a promis que personne au monde ne verrait vos lettres. Il me semble que c’est une très bonne voie.

Comme dans votre lettre vous me dites qu’il vous serait très agréable de savoir quelques particularités, mon très cher compère, voici ce que m’a dit Menichella. Il n’y a pas lieu pour vous d’avoir aucun souci, ni de vous mettre en route et de venir à Rome pour des indignités qui ont pu vous être faites. Il suffit d’une lettre de vous à notre ami [1] ; vous verriez combien elle aurait d’effet, car je sais dans quelle estime il vous tient. Je crois que si vous vouliez faire une figure, à votre gré et de votre main, vous ne pourriez faire

  1. Le pape Clément VII.