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LES CORRESPONDANTS DE MICHEL-ANGE

[Nous ajouterons aux lettres qu’on vient de lire quelques-unes de celles que Gaetano Milanesi a publiées en italien en 1875, d’après les manuscrits des « Correspondants de Michel-Ange », et dont M. Le Pileur a donné une traduction française très fidèle à la Librairie de l’Art.]

I

Sebastiano del Piombo à Michel-Ange.
Le 5 septembre 1510.0000

0000Mon très cher Compère,

Aujourd’hui, j’ai reçu du compère Leonardo une lettre où il me dit que vous avez répondu à celle dans laquelle je vous mandais ce que le pape m’avait ordonné de vous dire. Je n’ai reçu aucune lettre de vous, et je suis bien étonné que, vous en ayant écrit pour des choses de moindre importance auxquelles vous avez répondu, je n’aie aucune réponse à celle-là. Si vous saviez dans quel état d’esprit je me trouve à ce sujet, peut-être en seriez-vous surpris. Il y a dix jours, le pape m’envoya un de ses camériers pour savoir si j’avais quelque réponse de vous. Je lui dis que non et que j’en attendais une, de jour en jour. Il me dit alors, de la part du pape : « Puisque celui-là ne vous répond pas, le pape m’a ordonné de vous offrir la salle d’en bas des Pontifes. » Je lui ai dit que je ne pouvais rien accepter sans votre permission ou jusqu’à ce que votre réponse me fût parvenue, et elle n’est pas arrivée jusqu’à présent. D’ailleurs, ajoutai-je, quand je ne serais pas tenu à des égards envers Michel-Ange, si le pape voulait me faire peindre cette salle, je ne le ferais pas, parce qu’il me semble n’être pas inférieur aux élèves de Raphaël d’Urbin, surtout ayant reçu de la bouche du pape l’offre de la moitié de la salle d’en haut, il ne me paraît pas convenable que je peigne en quelque sorte les caves, et eux les salles dorées. Je lui ai dit qu’on la fit peindre par eux. Il m’a répondu que le pape ne le faisait que pour éviter les querelles, que les élèves de Raphaël avaient les dessins de cette salle, et que la salle des Pontifes était aussi bien celle d’en bas que celle d’en haut. Je lui répondis que je n’en voulais rien faire, en sorte qu’ils se rient de moi, et je suis dans une si violente agitation que j’en suis devenu comme enragé. Je lui dis encore : « Si Michel-Ange me répondait et acceptait ce que je lui ai écrit ? — Indubitablement, répliqua-t-il, le pape y accéderait volontiers, et l’on ferait peindre ceux-là (les élèves) ailleurs. » Ainsi, mon Compère, vous êtes maître de tout. Je ne puis croire que vous m’ayez écrit, car j’ai cherché vos lettres dans tout Rome et je n’ai rien trouvé, sauf quelqu’un de ces drôles. Ils sont vigilants et cherchent à se procurer quelqu’une de nos lettres pour savoir nos affaires ; mais si vous voulez, ils crèveront tous avec leurs bavardages.

Outre cela, je vous prie de me dire à qui vous avez donné votre lettre ; car, d’autre part, je crois que le Compère Leonardo ne m’écrirait pas comme il l’a fait, si vous ne m’aviez pas écrit. Donnez votre réponse au présent porteur, elle sera en bonnes mains, et, de cette façon, je l’aurai. Écrivez-moi, si vous voulez, une lettre où vous jetterez feu et flammes ; je la montrerai au pape pour l’exciter, et faites-y voir que vous comptez sur Sa Sainteté ; car, en vérité, ce qu’il m’a dit prouve qu’il vous a en très grande considération et qu’il vous connaît. De plus, faites état, je vous prie, de qui fait état de vous, c’est-à-dire du pape ; car il n’y a pas au monde d’entreprise plus honorable que celle-là ;