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une fois, par le Granacci au jardin des Médicis, à Saint-Marc. Dans ce jardin, Laurent le Magnifique, père du pape Léon et homme remarquable en toutes choses, avait groupé diverses statues antiques et autres figures qui l’agrémentaient. Quand Michel-Ange les eut vues et en eut apprécie la beauté, il ne voulut plus retourner à l’atelier de Dominique ni aller ailleurs ; mais, là, tout le jour comme à la meilleure école de ses facultés, il s’attardait, faisant toujours quelque nouvelle chose. Un jour, considérant entre autres la tête d’un faune au visage de vieux, avec une longue barbe et une face riante, encore que la bouche s’y entr’ouvrit à peine (à la manière des Antiques et qu’on y vit ce qu’il y avait dedans, Michel-Ange s’en éprit outre mesure et se proposa de la refaire en marbre. Dans ce jardin, alors, Laurent le Magnifique faisait travailler les marbres, ou plutôt les faisait adapter pour l’ornementation de la belle bibliothèque que lui et ses aïeux avaient recueillie là, du monde entier. (Cette bibliothèque, à la mort de Laurent, subit maintes transformations, et fut rétablie plusieurs années après, par le pape Clément ; mais elle fut laissée inachevée, et les livres y sont encore en caisses.) Michel-Ange donc, travaillant là à des marbres, s’en fit donner un par les maîtres du chantier et, s’aidant de leurs outils, il se mit à refaire le Faune avec une telle attention qu’en peu de jours il en tira un morceau achevé, suppléant par sa fantaisie à tout ce qui manquait à l’ancien. Il lui ouvrit la bouche, à la manière d’un homme qui rit, si bien que dans la cavité on découvrait toutes les dents. Sur ces entrefaites, le Magnifique étant venu voir où en était son œuvre, il trouva le jeune homme en train de polir la tête. Il s’en approcha, en remarqua aussitôt l’excellence et s’en émerveilla, par égard pour la jeunesse de l’artiste. Mais, au lieu de louer le travail, il prêtera plaisanter un enfant de cette sorte, et il lui dit : « Oh ! tu as fait ce faune bien vieux, et tu lui laisses toutes les dents ? Ne sais-tu pas qu’aux vieux de cet âge il en manque toujours quelqu’une ? » Le temps que le Magnifique mit à se retirer parut mille ans à Michel-Ange, qui voulait corriger cette erreur. Resté seul, il cassa à son vieux une dent de la mâchoire supérieure et perfora la gencive, comme si la dent en était sortie avec sa racine, et il attendit anxieusement que le lendemain ramenât le Magnifique. Quand celui-ci revint et qu’il s’avisa de la bonté et de la simplicité du jeune homme, il en rit beaucoup. Mais ensuite, estimant en lui-même la perfection de cet ouvrage et l’âge de l’artiste, comme père de toutes les vertus il se résolut à aider et à favoriser un tel talent et à le recueillir dans sa propre maison. Après lui avoir demandé de qui il était fils : « Eh bien ! dit-il, fais savoir à ton père que j’aurais plaisir à lui parler. »

VIII. — Quand Michel-Ange revint chez lui, il fit la commission du Magnifique. Son père, qui devinait pourquoi il était appelé, malgré les sollicitations du Granacci et d’autres, ne pouvait se résoudre à se rendre au palais. Il aimait mieux se plaindre qu’on lui débauchait son petit et ajoutait qu’il ne souffrirait jamais que son fils se fît tailleur de pierres. Il ne voulait pas même entendre du Granacci quelle différence il y a entre un sculpteur et un tailleur de pierres et, là-dessus, continuait à disputer longuement. À toute force, il accepta d’aller chez le Magnifique. Quand celui-ci lui demanda s’il voulait lui confier son fils, il ne sut le refuser : « Bien mieux, ajouta-t-il, non seulement Michel-Ange, mais tous nous autres, et notre vie et nos