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CORRESPONDANCE

fais en sorte qu’il ne manque de rien, quant à son âme et aux sacrements de l’Église. Sache par lui s’il veut que nous fassions quelque chose pour son âme. Quant aux nécessités du corps, veille à ce qu’il ne lui manque rien ; car je ne me suis jamais fatigué que pour lui et pour l’aider dans ses besoins avant sa mort. Ainsi, fais en sorte que ta femme[1] veille avec amour sur les besoins de la maison paternelle ; je l’en récompenserai, elle et tous vous autres, quand il en sera besoin. N’ayez aucune crainte d’y employer, s’il le faut, tout ce qui est à nous. Rien de plus. Soyez en paix et avisez-moi, car je suis en grande compassion et crainte.



XV

Buonarroto à Michel-Ange.
Florence, 1515.0000

Mon très cher, pour t’envoyer quelques nouvelles d’ici et, entre autres, celles de la visite de notre seigneur, c’est-à-dire le pape, je t’écris ces quatre lignes, bien que je sache qu’il t’importe peu de l’apprendre. Ce sera autant de temps gagné. Mais peut-être, à cette heure, connais-tu tout cela ?

Et d’abord comment, le 30, jour de saint André, le Saint-Père est entré dans Florence, je crois que tu le sais déjà. Cette entrée s’effectua avec grande dévotion, force rumeur de cris et jeux de balles, à laisser croire que le monde allait sens dessus dessous. Le pape était magnifiquement escorté de toute la cour et de nombreux citoyens du duché entier, chacun en bon ordre. Entre autres, on y voyait une escorte de jeunes gens choisis parmi les premiers de la République, tous vêtus de la même livrée en soie paon : armés de bâtons dorés, ils précédaient la sedia, qui était chose belle à voir. La garde pontificale et les palefreniers entouraient celle-ci, que surmontait un riche baldaquin de brocart porté par le Collège, et, autour d’elle, marchait la Signoria. Ainsi, au milieu de la foule, il fut conduit en grande vénération à Sainte-Marie-des-Fleurs et là, à l’autel majeur, se fit une cérémonie. Ensuite, de la même manière, il fut porté à la salle du Pape ; mais, avant de sortir, il donna l’indulgence plénière à tous ceux qui étaient dans l’église, et tu peux croire qu’il y en eut à la recevoir. Quand il arriva dans cette salle, le soir étant venu, toute la cour et le reste des assistants prit congé.

Le jour suivant, qui fut un samedi, le pape rendit visite à la Signoria, où nous fûmes tous admis au baisement du pied. Quand le gonfalonnier eut achevé son discours, nous prîmes congé et retournâmes au palais. De trois jours pleins, les sons de cloches et les feux de bombarde ne cessèrent. Il y eut bien dix grands arcs-de-triomphe dressés en plusieurs lieux ; c’était chose belle à voir, et aussi l’aguglia faite à la tête du Pont de la Trinité. La façade de Sainte-Marie-des-Fleurs était aussi très bien. En somme, il

  1. Buonarroto, seul marié des cinq frères, avait épousé Cassandra di Bernardo Puccini en premières noces, et Bartolomea di Ghezzo délia Casa en deuxièmes. Leonardo, neveu et héritier de Michel-Ange, fut un des trois enfants nés de ce second mariage.