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MICHEL-ANGE.

ducats d’or larges. Et pourtant, à tous les garçons qui viennent ici avec les muletiers on ne donne pas plus de 10 carlins. J’en ai eu plus de dépit que si j’avais perdu 25 ducats, parce que je me rends compte que c’est le père qui, pour faire honorablement les choses, a voulu m’envoyer ce garçon sur un mulet. Ah ! je n’ai jamais joui de tant de faveur, moi ! Et en voilà bien une autre, quand le père vient me dire que ce garçon était bon à tout faire, qu’il soignerait la mule et dormirait par terre, s’il le fallait ; et c’est moi qui ai dû penser à la bête. Il ne me manquait plus que ce tracas, après tous ceux que j’ai eus depuis mon retour. L’autre garçon, que j’avais laissé à l’atelier de Rome, y est resté malade jusqu’à mon arrivée ici. Il est vrai qu’il va mieux à présent, mais il a été en passe de trépasser et est resté tout un mois sous le doute des médecins. Pendant ce temps, je ne me suis pas mis au lit. Je passe sur les autres ennuis que j’en ai eus. Et me voilà, aujourd’hui, avec cette merde sèche de drôle disant qu’il ne veut pas perdre son temps et qu’il veut apprendre. À Florence, il m’avait dit qu’il lui suffirait de deux ou trois leçons par jour. Maintenant, il n’a pas assez du jour entier, et il lui faut encore toute la nuit pour dessiner. Sont-ce là les conseils du père ? Si je ne disais rien à son garçon, il objecterait que je ne veux rien lui apprendre. J’ai besoin d’être aidé et, si ce gars ne se sentait pas propre à le faire, il n’aurait pas dû me mettre en de tels frais pour lui. Ce sont des fainéants, des fainéants, vous dis-je, qui cherchent leurs aises, et cela leur suffit. Je vous prie de faire enlever celui-ci de ma présence, car il m’a tant dégoûté que je n’en peux plus. Le muletier a reçu tant de monnaie qu’il peut bien, pardessus le marché, se le ramener à Florence ; en outre, il est l’ami du père. Dites au père qu’il en envoie, du sien. Moi, je ne donnerai plus un sou, car je n’ai plus d’argent. Je patienterai jusqu’à ce que le père en envoie ; et s’il n’en envoie pas, je mettrai son fils dehors, comme je l’avais déjà fait une fois, et d’autres fois encore. Et il ne veut pas y croire.

0000(Arch. Buonarotti.)



VII

Au même.
Rome, 1er sept. 1510.0000

… J’apprends par votre dernière lettre comment vont les choses. J’ai un vrai chagrin de ne pouvoir vous aider autrement. Néanmoins, ne vous en abattez pas, n’en prenez pas même une once de tristesse ; car à qui perd son bien, la vie reste. Je ferai tant pour vous, que vous aurez plus que vous n’avez perdu ; mais n’oubliez pas qu’il ne faut point faire cas d’argent, parce que c’est chose trompeuse. Faites pourtant diligence et remerciez Dieu, puisque cette épreuve devait venir, qu’elle arrivât à une heure où vous pouviez y être soulagé, mieux que vous n’eussiez pu l’être dans le passé. Veillez à bien vivre, et laissez plutôt aller les choses que d’en souffrir du dommage. Il m’est plus cher de vous avoir vivant et pauvre, que mort avec tout l’or du monde. S’il se trouve à Florence des gens qui vous reprennent sur cette manière de voir, laissez-les dire ; car ce sont là des hommes sans confiance et sans amour.

0000(Arch. Buonarroti.)