même souvent battu ; car, dans leur impéritie pour l’excellence et la noblesse de l’art, ils tenaient comme une honte d’abriter un peintre chez eux. Ce déplaisir, quelque grand qu’il fût, ne parvint pourtant pas à faire reculer Michel-Ange, qui, se faisant plus courageux, voulut tenter le métier des couleurs. Un jour que Granacci lui avait présenté une feuille imprimée où était représentée l’histoire de Saint Antoine battu par les Démons, dont l’auteur était Martin de Hollande, habile artiste de ce temps, Michel-Ange la copia sur un panneau de bois. Il ajouta ensuite la couleur au dessin et composa un tableau si remarquable que, non seulement il émerveilla ceux qui le virent, mais il en excita encore, disent quelques-uns, l’envie de Grillandaio même, qui, pour ne pas paraître moins bien faire que son élève, disait que cette œuvre était sortie de son atelier, comme s’il y avait collaboré. Grillandaio était, d’ailleurs, le peintre le plus apprécié de ce temps-là, comme le manifestaient ses ouvrages. Dans ce petit tableau, outre la figure du saint, il y avait beaucoup d’autres étranges formes et monstruosités de démons. Michel-Ange les avait traités avec un tel soin, qu’avant de les peindre en couleur il avait voulu les étudier au naturel. Pour ce faire, il était allé voir pêcher pour observer la forme et la couleur qu’ont les nageoires des poissons, et jusqu’à la tonalité des yeux et beaucoup d’autres choses, pour les pouvoir représenter dans son tableau. La perfection qu’il sut atteindre commença alors à lui attirer, comme je l’ai dit, l’admiration du public et quelque peu de jalousie du Grillandaio. Celle-ci se découvrit un peu plus, un jour que, Michel-Ange ayant demandé à son maître un de ses albums de croquis où étaient représentés des pâtres avec leurs brebis et leurs chiens, des paysages, des maisons, des ruines et autres choses semblables, celui-ci ne voulut pas le lui prêter ; et vraiment il put bien être surnommé « le jalouson », car il se montra peu courtois non seulement envers Michel-Ange, mais aussi envers son propre frère. Quand il avait vu ce frère prendre de l’avant et donner grande espérance de lui-même, il l’avait envoyé en France, moins pour lui être utile, comme disaient quelques-uns, que pour rester le premier de son art à Florence. J’ai voulu mentionner ce fait parce qu’on m’a dit que le fils de Dominique a coutume d’attribuer l’excellence et la divinité de Michel-Ange en grande partie à la discipline de son père, qui cependant ne lui servit en aucune manière. Michel-Ange, d’ailleurs, ne s’en est jamais plaint ; bien plus, il a toujours loué Grillandaio pour son art et pour ses habitudes. Mais arrêtons là cette digression et revenons à notre sujet.
VI. — En ce même temps, Michel-Ange n’étonna pas moins ses camarades d’atelier avec un autre travail qu’il fit, comme par plaisanterie. On lui donna, un jour, une tête à copier ; et, au lieu de l’original, il en rendit au propriétaire la copie. Le subterfuge n’en fut découvert que par Michel-Ange, un jour qu’il en parlait à un de ses compagnons, et ce fut en riant qu’il se fit reconnaître. Plusieurs voulurent alors comparer les deux têtes pour y trouver une différence. En fumant sa copie, Michel-Ange lui avait donné le même état de vieillesse qu’au modèle. Ce fait lui valut grande réputation.
VII. — Le jeune homme copiant ainsi, un jour telle chose et un autre jour telle autre, n’avait encore ni école arrêtée ni atelier fixe. Il fut conduit,