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MICHEL-ANGE.

jamais, en aucun temps, ces tableaux ne sortiraient de la maison. Ainsi Sa Seigneurie Illsime et Révsime, voyant ma ferme et constante résolution, se retira et ne me fit pas adresser d’autre prière.

En octobre dernier, l’Excsime seigneur duc, notre maître, apprit pareillement que j’avais ces tableaux, et donna ordre à un prêtre de sa maison de s’employer à les faire porter à Urbino, car il les voulait voir. Ainsi ce prêtre envoya quelqu’un avec une de ses lettres de la part de Son Excellence, me priant de lui envoyer les dessins, pour qu’il pût seulement les voir. Je m’excusai du mieux que je pus et j’évitai ainsi, cette fois encore, de les envoyer. Ces jours derniers, Son Excellence, désireuse encore de les voir, manda M. le commissaire de notre province de Massa avec une autre personne de sa cour et une lettre très aimable, me priant d’envoyer les tableaux et de les confier à une personne dont j’aurais fait choix, car il désirait les voir. Ne sachant comment procéder en cette affaire, je me résolus à demander avis à certains de nos parents, qui me dirent : « Cornelia, il ne faut pas user envers le seigneur duc de la même obstination que vous avez employée à l’égard du cardinal Turnone, parce que Son Excellence est maîtresse des dessins comme de tout ce qui vous appartient. S’ils lui plaisent, il faudra que vous les lui donniez de toute manière. Aussi nous vous conseillons de les lui adresser avec un des vôtres qui lui dira que Son Excellence est maîtresse de ces tableaux, de votre bien, de vos enfants et de toute autre chose, et qu’Elle peut en disposer comme de son propre bien. » Ainsi je fis, selon le conseil donné. J’envoyai un de nos parents, qui remplit diligemment le message auprès de Son Excellence. Celle-ci, ayant vu les tableaux, dit à notre parent qu’ils étaient d’une grande beauté, et il lui fit ordre de ne point repartir sans sa permission. Quatre jours après, le duc le fit appeler et lui dit qu’il acceptait à la fois les tableaux et mes bonnes intentions, ajoutant qu’il m’était obligé de l’offre libre que je lui avais faite ; et que les tableaux étaient si beaux qu’il n’y avait pas de prix qui les pût payer, et que s’il voulait, lui, les acquérir, il faudrait aller jusqu’à des milliers d’écus. Mais il voulait que les enfants profitassent de cent écus, par affection ducale. Notre parent refusa à maintes reprises de les recevoir, disant que les enfants ne voulaient pas autre chose que la grâce de Son Excellence, et qu’Elle voulût bien qu’ils lui fussent recommandés. Il lui raconta l’affaire de Rosso. Son Excellence, après l’avoir forcé à prendre les cent écus, donna les ordres les plus pressants en notre faveur pour que nos affaires fussent bien revisées, sans dépense et sans aucun procès. Ensuite, il me renvoya le même sieur commissaire avec une lettre, pour me remercier et faire aux enfants les plus larges promesses.

J’ai écrit tout ce qui est arrivé à V. S., pour que vous vous contentiez de ce qu’a voulu Son Exe. Ainsi, je vous prie instamment d’être satisfait aussi de la libéralité dont j’ai usé envers notre Exsime maître. Je vous prie aussi, autant que je le puis, de m’écrire afin que j’aie en repos mon esprit qui, depuis le jour où j’ai envoyé ces tableaux, est dans un ennui continu et y restera jusqu’à ce que j’aie une de vos lettres me faisant connaître clairement que vous n’en êtes pas fâché. En outre, Francesco, dont Dieu ait l’âme, ayant fait mention de ces deux tableaux dans son testament, je désirerais qu’à l’aide de votre sieur Marcello (Venusti, peintre mantouan), vous fassiez